Nathalie Loriers : A la recherche du « Temps retrouvé »
Conversation avec la pianiste belge Nathalie Loriers autour de son disque en trio.
Photo : Robert Hansenne
Troisième volet de ce trio magique qui réunit Nathalie Loriers, Tineke Postma et Nic Thys. Une aventure dont nous parle la pianiste : le Gaume Jazz, l’OPRL, le confinement…
Des étapes importantes dans la création du Temps retrouvé.
- Nathalie Loriers © Pieter Fannes
- Ce trio était une commande de Jean-Pierre Bissot, du Gaume Jazz, en 2016. Cinq ans plus tard, voici le troisième disque. Qu’est-ce qui fait l’alchimie entre vous trois ?
Dès le premier concert, ça a été magique. Cela a tout de suite fonctionné. Il y a eu un moment particulier dans ce Gaume Jazz… Quelque chose s’est passé que je n’avais pas prévu. Jean-Pierre Bissot m’avait prévenue que ce serait enregistré. On a écouté l’enregistrement et ressenti beaucoup d’énergie. Le CD s’est fait. Puis on a enchaîné avec des concerts et la connivence a pu se travailler, se vivre plutôt.
- Le deuxième album a été enregistré dans la salle de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, celui-ci aussi. D’où vous vient l’attrait pour cette salle ?
J’ai été vraiment séduite par l’expérience précédente, d’enregistrer dans une salle avec une telle acoustique. Le son y prend toute sa valeur et porte l’inspiration. Tout semble reprendre sa place naturelle dans les dynamiques et les intentions. On se dit : « mais c’est ça le son, pas quelque chose qui vient d’un baffle ». C’est un plaisir indéfinissable de pouvoir ainsi jouer avec le son et l’espace. Le piano enfin sonne et respire comme il se doit d’un instrument d’une si belle facture.
Enregistrer en studio avec des casques et une réverbération quasi inexistante me paraissait être une aberration. J’ai contacté les quelques salles belges qui offraient ce luxe acoustique et finalement, seul l’OPRL était libre à nos dates, ce qui n’a pas manqué de me ravir car j’adore cette salle et la ville de Liège avec laquelle j’ai vécu toute une histoire !
- Dix morceaux, neuf compositions. Comment surgissent les mélodies ?
Les idées me viennent presque organiquement quand je me promène, quand je suis en voiture. J’ai une idée, je l’enregistre ou je la note sur un papier. Et puis il y a le travail. On a enregistré en juillet 2020 mais j’avais commencé à écrire un an avant. Je sentais qu’il y avait de plus en plus de tempêtes, je voyais des arbres se battre contre des coups de vent de plus en plus forts. J’ai donc dédié quelques morceaux au vent. Et puis la Covid nous est tombée dessus. Et ça m’a donné du temps pour composer, des musiques teintées par ce qu’il se passait.
- « Le Temps retrouvé », le titre tient au confinement ?
Je sortais d’une période de grande fatigue où je travaillais beaucoup : les cours, le Brussels Jazz Orchestra, mes projets personnels… Le rythme était soutenu et fatigant. Cette période m’a donné le luxe de pouvoir composer pour le nouveau disque en laissant les choses se passer calmement, c’était une sorte de retour au temps, à l’espace.
- Outre la formule en trio piano-basse-batterie, vous avez aimé enregistrer avec des souffleurs : Bert Joris, Lee Konitz, Kurt van Herck, Frank Vaganée, Laurent Blondiau et maintenant Tineke Postma. C’est une sonorité que vous entendez en composant ?
C’est plutôt la personnalité musicale de ces souffleurs qui m’inspire à écrire et interagir avec eux. La composition peut partir du souvenir de leur son, mais aussi, juste du piano, ou d’une autre source…
Par exemple « Djaane Do » est d’une certaine manière inspiré de sensations harmoniques vécues dans mon expérience au sein de BJO, lors de la dernière rencontre avec Maria Schneider autour des pièces issues de son album « The Thompson’s Fields ». « Rafales » est apparu, après une semaine d’enregistrement de la musique de Pierre Drevet avec le BJO. »
- « Round Midnight » est une version tout à fait originale : qu’est ce qui vous a inspiré cet arrangement ?
« Round Midnight » reste un de mes morceaux de chevet, il m’accompagne depuis des années. A l’origine, j’ai été séduite par les multiples versions de Herbie Hancock sur ce thème. Chaque fois, il renouvelait les harmonisations tout en gardant un grand respect pour cette mélodie incroyable. Et donc, maintes fois, je me suis amusée à réinventer le parcours harmonique de ce thème jusqu’à cette dernière version qui me surprend moi-même, je l’avoue, car elle module, et on ne l’entend pas.
- Comment définiriez-vous la connivence qui vous lie à Tineke Postma ?
Tout se fait naturellement, pas besoin de débattre, la musique se place toute seule…C’est facile, inspirant, ludique, nourrissant… Je pense à un ruisseau au centre duquel il y a des pierres et l’eau s’écarte puis se retrouve. C’est un peu dans ça qu’on a envie de se retrouver. Dans la liberté sonore aussi.