Entretien

Nico Morelli

Le pianiste se présente à la faveur de la sortie de son album éponyme chez Cristal Records

Ils nous viennent du sud de l’Europe, ils sont jeunes, beaux et talentueux : ce sont les musiciens de jazz italiens. Parmi eux, un pianiste à suivre de près, M. Nico Morelli…

  • Une biographie rapide, Monsieur Morelli ?

Je suis né le 28 décembre 1965, à Taranto (Pouilles, Italie). A 7 ans, mon père m’achète un orgue électronique, à 9 ans un piano, et à 11 ans, il revend tout ! A 18 ans, un ami batteur me convainc d’aller à un stage de quinze jours à Sienne, dont je reviens avec la ferme intention de devenir musicien.
Trop âgé pour le conservatoire, je prends contact avec un professeur de piano classique, et, tout en participant aux différents stages de la Berklee en Italie, j’obtiens son diplôme à 24 ans. A partir de 1992, sélectionné par ma région pour des cours de formation professionnelle, je travaille deux ans avec Steve Lacy et Glenn Ferris comme intervenants, deux années qui mènent à l’enregistrement d’un premier disque, et à la rencontre avec Roberto Ottaviono (sax) et Paolino Dallaporta (b), pour un premier album de mes compositions (« Behind the windows », Y.V.P. Records).
Un directeur de maison de disque me propose alors une collaboration avec Marc Johnson (b.) et Roberto Gatto (dr.), puis Vincenzo Lanzo (dr.) et Paolo Ghetti (b.) pour former le « Jazz Air Trio » avec lequel nous tournerons jusqu’en 1998. Remportant en 1999 le Concours International de Milan organisé par Verve-Italie, je débarque en France, où je gagne un prix au Concours de La Défense en juin 2000, mais où j’ai surtout la chance de rencontrer rapidement des musiciens de grande qualité, comme Marc Buronfosse, Luc Isenmann, puis Aldo Romano, Bruno Ziarelli, Stefano di Battista, Sylvain Beuf, pour ne citer qu’eux…

  • Quelle est ta première véritable émotion musicale ?
Nico Morelli, Pianiste

J’avais trois ans. C’est le souvenir le plus ancien que j’ai, car je ne me rappelle de rien avant. Je me souviens que nous étions à un mariage avec mes parents, des invités, beaucoup d’enfants, et que nous en étions au déjeuner. Il y avait un pianiste qui jouait, et je me rappelle cette sensation que j’avais, l’envie de maîtriser cet instrument comme le faisait ce pianiste. Plus tard, mes parents m’ont dit que j’avais passé la journée à côté de ce monsieur, fasciné.

  • Et ta dernière ?

Peut-être à ce concert que j’ai fait, il y a deux ans, à la première édition du Festival de Tanger au Maroc. Tout était à faire : l’organisation cherchait ses marques, et le public était complètement « vierge ». Moi-même, je n’étais pas du tout dans l’esprit d’un festival : j’étais venu sans mon groupe, et j’avais plutôt l’impression d’être en vacances.
Dans la journée, j’ai rencontré des musiciens dans la même situation que moi ; nous avons répété pendant une demi-heure, et le moment du concert est arrivé.
Et là, il s’est passé quelque chose de vraiment magique : j’ai vu un public qui venait absorber la musique de manière complètement authentique, sans influences ni présupposés. Un peu comme quand tu parles à un bébé et qu’il te sourit ! Ici, c’est différent, le public, peut-être plus adulte, est satisfait par d’autres « combinaisons », plus complexes.

  • Est-ce que la notion de « musicien de jazz » a un sens pour toi ?

C’est une question à laquelle je suis souvent amené à répondre, et j’ai l’impression de me « tromper » à chaque interview (rires). Alors je me dis : « la prochaine fois je dirai ça ! ».

Cette fois-ci, je répondrai ceci : pour moi, le jazz, c’est une forme d’énergie. Une forme d’énergie qu’un musicien, sur scène et à l’aide de son instrument, essaye de communiquer à un public, parfois grâce à l’utilisation des sons, ou des bruits, parfois grâce à sa personnalité. Et dans ce sens, je crois qu’il existe effectivement des « musiciens de jazz ».

  • Que penses-tu de la nécessité de l’enregistrement ?

Peut-être que ce n’est pas vrai, mais j’aime imaginer que les « meilleures » choses qui ont été faites dans l’histoire de la musique par les grands comme Bach, Beethoven, Mozart, etc. sont ces choses qu’ils ont improvisé, et que nous avons perdu. Ils avaient, nous le savons, d’incroyables talents d’imagination et d’écriture, mais également d’improvisation, et il ne nous reste presque rien pour nous faire une idée de cela.

Peut-être que les musiciens de jazz, ou de musique improvisée au sens large, ont été plus paresseux (rires), qu’ils n’avaient pas envie d’écrire leurs idées note pour note ; le seul moyen qui leur restait alors pour laisser un témoignage de leur musique était de l’enregistrer ! Je crois donc qu’en cela, l’enregistrement est une chose importante, en ce qu’il permet de donner un « corps » à cette musique.

Quoi qu’il en soit, je crois qu’il est indispensable de conserver une trace de cette musique, ne serait-ce que pour comprendre pourquoi ceux qui la font sont eux-mêmes ce qu’ils sont, de quelle manière ils ont eux-mêmes intégré leur histoire. Pour ce qui me concerne, chaque disque que j’ai fait m’a permis de voir ce que je voulais améliorer dans ma musique, au moins en évitant de commettre les mêmes erreurs. Non, améliorer n’est peut-être pas le bon terme, parce que j’ai remarqué que chaque fois que je décide « d’améliorer » quelque chose, c’est pire ! (rires)

Maintenant, j’ai l’impression que nous assistons à une véritable inflation de la production discographique, et je crois que plus nous avons de disques, plus l’importance du disque diminue. Ce qui reste alors, c’est la scène : c’est vraiment là que tout se passe, que l’on voit quelqu’un « qui sait faire ».

  • Qu’est-ce qui caractérise selon toi ce nouvel album ? Quelles en sont les principales sources d’inspiration ?

A la différence des fois précédentes, l’envie de faire ce disque m’est venue de manière assez naturelle, sans que j’y pense vraiment, comme une conséquence de tout ce travail, la synthèse d’une période en France où j’ai eu la chance de faire de très belles rencontres, d’incroyables expériences musicales et humaines. J’avais vraiment très envie de rendre l’invitation à tous ces musiciens avec lesquels j’ai collaboré, mais j’aurais eu besoin de dix albums pour cela ! (rires). Certaines choses sont tout à fait nouvelles pour moi, car elles viennent de ce que j’ai découvert dans le son du jazz ici, particulièrement la façon dont sonnent la contrebasse et la batterie.

Pour ce qui est des sources d’inspiration, elles sont toutes distinctes : des états d’âmes, des livres, des amis qui me manquent. Un morceau, composé lorsque j’étais adolescent, sonne très bop, un autre s’inspire du jazz que j’entends ici, des mesures composées, celui en duo avec Stefano Di Battista plutôt proche de l’expressionnisme français du début du siècle… Mais l’ensemble est moins marqué par le classique qu’auparavant.

  • Que te manque-t-il de l’Italie lorsque tu es à Paris ?

Berlusconi !(rires) Non ! Je dirais la mer et le soleil, ma mère et ma famille, mes amis, le calme, le parfum de ma terre…

  • Et à l’inverse, lorsque tu es en Italie ?

Chirac ! Non, toujours pas ! (rires). La beauté de cette ville, l’activité, les rencontres. A vrai dire, je n’avais jamais vécu dans une ville où l’on peut entendre autant de sons différents…

  • Un dernier mot, M. Morelli ?

Oui : je suis heureux, c’est un très beau moment pour moi et je me sens très privilégié !