Chronique

Nicolas Rogès

Kendrick Lamar, de Compton à la Maison Blanche

Label / Distribution : Le Mot et le Reste

Depuis l’annonce de la sortie d’un livre sur Kendrick Lamar, la fan que je suis trépigne d’impatience. Je ne suis pas fan au point de collectionner les moindres breloques à son effigie comme peuvent le faire les fans de Johnny. Mais je collectionne ses albums, je suis sa carrière de très près depuis presque dix ans et un poster de lui trône au-dessus de mes toilettes en clin d’œil aux paroles du refrain de HUMBLE : « Bitch be humble, Bitch sit down ».

C’est donc principalement en tant que fan que j’affirme qu’écrire sur cet artiste n’est pas chose aisée. À la différence de bon nombre de rappeurs de sa génération il se fait discret, secret. Il est très difficile d’avoir accès à son intimité, surtout quand on sait que son label, Top Dawg Entertainment (TDE), fait signer des contrats de confidentialité à toute personne travaillant avec les artistes ayant signé chez eux. D’autant plus périlleux que la carrière de Kendrick Lamar - bien que passionnante - est loin d’être achevée, comme le confirment d’ailleurs les dernières annonces de TDE qui laissent planer un doute sur la très prochaine sortie d’un album du rappeur.

Mais tout cela n’a pas arrêté le journaliste et conférencier Nicolas Rogès dans la rédaction de son ouvrage sorti le 17 septembre dernier, fruit de deux années de recherches approfondies, d’enquêtes de terrain, d’interviews exclusives mais également d’une connaissance aiguë des œuvres de Kendrick Lamar. Tel un Nardwuar français, Nicolas Rogès nous offre une étude précise, pertinente de la musique et de l’univers du rappeur, permettant ainsi de le découvrir ou de le redécouvrir.

Comme un album, Kendrick Lamar, de Compton à la Maison Blanche est divisé en 28 tracks. Chacune est introduite par une citation extraite du livre préféré de Kendrick - Monster : The Autobiography of an L.A. Gang Member de Sanyika « Monster Kody » Shakur - faisant référence aux réflexions que le musicien partage dans sa musique et, plus subtilement, aux sujets traités dans le chapitre qu’elle introduit. À croire que l’auteur a lui aussi suivi les conseils d’Ice Cube : les lignes introductives doivent être percutantes ; « ça doit être une déclaration ».

Dès l’introduction Nicolas Rogès précise qu’il ne s’agit pas uniquement d’une biographie du rappeur. Il traite de la naissance d’un symbole, d’un modèle pour la jeunesse afro-américaine, d’une « icône générationnelle ».

En partant de Lamar, l’auteur revient sur les origines du rap de la côte ouest des Etats-Unis, tirant ainsi le portrait de bien des rappeurs et producteurs qui ont écrit une page de l’histoire du rap américain : Dr Dre, DJ Quick, Nipsey Husstle, Ab soul, Warren G, Eminem, School Boy Q, Jay Rock, The Game, Tupac, les membres de la NWA ou encore Snoop Dogg. Il replace très justement le rap dans la continuité du funk, de la soul mais surtout de leur source qui est le jazz.

Ce jazz que l’on retrouve dans l’album « To Pimp a Butterfly », écrit en collaboration avec les plus importants musiciens de jazz de la West Coast : Terrace Martin, Kamasi Washinghton, Thundercat, Robert Glasper pour ne citer qu’eux, et qui a valu au rappeur le surnom de « John Coltrane du Hip Hop ». Ainsi Nicolas Rogès établit une sorte de panorama de la scène musicale de la West Coast retraçant également l’histoire de TDE et des autres membres du label.

L’auteur s’intéresse aussi à Compton, ses habitants et son histoire. Ville d’origine du rappeur, que Nicolas Rogès a parcourue afin de s’imprégner de l’environnement où le musicien a grandi, mais aussi afin de tenter d’y rencontrer son entourage, des citoyens actifs, des associations et des artistes originaires de la ville. C’est d’ailleurs à Compton qu’il rencontrera le peintre et muraliste Anthony Lee Pitman auteur de la couverture.
En extension, un reportage sur sa semaine passée à Compton est disponible sur le site abcdrduson.

De nombreux autres sujets sont abordés tout au long de cet ouvrage, tel que celui des violences policières, des gangs, de l’addiction, de la politique américaine, des luttes pour les droits civiques, de l’éducation ou encore de la littérature et du cinéma… Tant de sujets, qui parcourent la discographie de Kendrick Lamar. D’ailleurs, la construction du livre rappelle celle de son dernier album, DAMN.

Ce n’est pas un livre destiné aux connaisseurs de rap ou aux auditeurs du rappeur ; c’est un livre pour les passionnés de musique, d’histoire et d’histoire de la musique.
En dépit de ses 425 pages, il est loin d’être indigeste et l’écriture y est pour beaucoup. Une lecture agréable du début à la fin donnant parfois l’impression de lire une fiction, tant la narration est entraînante. C’est un cadeau que Nicolas Rogès nous fait, lui qui avait prévu d’arrêter d’écrire sur la musique après la sortie de Move On Up : La soul en 100 disques. Un ouvrage écrit par un passionné qui traite d’un rappeur passionnant, qui - pour l’anecdote - est le premier artiste hip hop à avoir remporté un prix Pulitzer.
Alors merci, la fan que je suis est conquise.