Nigeria
E-nepties et déraisons : Nigeria
Le delta du Niger, vaste flaque de pétrole nauséabond qui dévaste toute vie humaine, animale ou végétale aux lueurs des torchères (merci les 7 Sœurs [1] !) et Boko Haram qui se fournit en lycéennes et massacre tout ce qui aurait pu survivre…
Pourquoi troubler votre quiétude avec tout ça ?
C’est la faute à Sonny.
C’était au temps où lui, comme d’autres d’ailleurs, faisait la démonstration que ses neurones n’étaient pas uniquement scotchés musique. Il se posait moult questions du genre d’où viens-je, où vais-je, et tutti quanti. C’était bien avant qu’une poignée de riverains mal embouchés du pont de Brooklyn ne l’accusent de tapage nocturne.
En ce jour de 1954, jetant un œil sur le journal qui s’étalait sur la table, entre 2 brèves informant que Miles Davis s’était attelé à l’enregistrement de Walkin’ et que Chet Baker en faisait de même pour My Funny Valentine, on annonçait qu’en Afrique, les angliches venaient d’accorder une quasi-indépendance au Nigéria. « Fort plaisant, se dit Sonny, Nigeria, ce nom me parait émaner de nigger, voilà qui me sied à merveille » [2]. Il ne se sentait pas encore afro-américain (le vocable n’existait même pas) mais peut-être un peu affreux américain. Les racines africaines, tous ces trucs-là, ça commençait grave à le titiller.
Le cadre étant planté, là maintenant, le foutu narrateur se doit de vous narrer (c’est son taf, non ?) une anecdote dont je n’ai trouvé qu’un écho à peine reconnaissable dans les multiples Histoires du Jazz que j’ai consultées. Figurez-vous que ce bon vieux (en fait il n’aligne que 24 balais à ce moment-là) Theodore Walker (c’est comme ça qu’il s’appelle en vrai) avait dans la tête une ritournelle qu’il avait enregistrée sur son petit magnéto à bandes 2 pistes et qu’un jour où il voulait réécouter ce machin, il ne se rend pas compte - distraction bien excusable - qu’il avait retourné la bande et qu’il écoutait son chorus à l’envers. Stupeur ! C’est pareil à l’endroit et à l’envers, ça peut se lire, s’écouter pareil dans les 2 sens. « J’en frémis d’exaltation, je me sens tout transporté, j’vais graver ça et l’appeler Palindrome, c’est parfait, grandiose ! » Ceci dit, il court faire écouter ça à Miles. Miles l’écoute donc, tout excité et n’en revient pas. « Très cher, tu déraisonnes, par ma foi, tu t’étais encore enivré plus que de raison ou de coutume ou les deux ! Les 2 versions sont fort dissemblables ». « Palsambleu, par ma cornegidouille, tu as raison, c’est indéniable, mais c’est quand même fort agréable et charmant non ? » « Si fait, allez, faisons diligence, hâtons-nous de le pérenniser ! ».
Aussitôt dit, aussi tofaix, direction les studios d’enregistrement. Exit Palindrome. Fallait bien un titre ; le journal et l’article sur le Nigeria traîne toujours sur la table, « Voilà qui m’agrée, j’vais mettre Nigeria à l’envers et même si ça fait pas Nigeria, ça fait Airegin, c’est très plaisant à l’oreille ! ».
Et voilà l’histoire véridique (quasi) d’un morceau qui est devenu un standard. La petite ritournelle serait-elle devenue le chorus des illusions déçues ? perdues ?
Parmi les versions que je connais, j’aime bien celle de 54 de Rollins et Davis, une de Stan Getz et les 3 versions étalées sur 20 ans de Daniel Humair, René Utreger et Pierre Michelot. [3]