Chronique

Nils Wogram & Simon Nabatov

The Move

Nils Wogram (p), Simon Nabatov (tb)

Label / Distribution : Between the lines

Nils Wogram et Simon Nabatov n’y sont pour rien, car depuis la fin des années quatre-vingt-dix, ils font leur possible pour que pavillon et cordes s’accordent : The Move (2005) est déjà leur troisième disque en duo, après As We Don’t Know It (1999) et Starting A Record (2002) ; un quatrième - Jazz Limbo - verra le jour en 2006.

Plus connus outre-Rhin, Wogram et Nabatov n’ont eu l’occasion de jouer en France qu’en 2004… à Besançon ! Pourtant, le public français a pu écouter Nabatov au concours Martial Solal en 1989 (où il a remporté le troisième prix), et au festival Banlieues Bleues en 2003.

Pianiste aux racines russes, Nabatov a grandi aux États-Unis et sort de la prestigieuse Juilliard School of Music. Il s’est finalement installé en Allemagne, où il a rencontré une star du trombone : Nils Wogram. Après avoir fait ses classes avec Peter Herbolzheimer, puis sur les bancs de la New York University, ce dernier écume désormais les scènes allemandes en solo, avec les sept groupes qu’il anime ou le combo de la pianiste japonaise Aki Takase.

Avant de passer à la musique, l’auditeur s’arrêtera un instant sur la jolie peinture de Jutta Obenhuber qui orne la pochette du disque. L’artiste est une habituée des couvertures et Between The Lines a déjà fait appel à elle pour illustrer des disques de son catalogue.

The Move s’articule autour de sept compositions originales. Les thèmes sont plutôt mélodieux (« Fall », « The Move ») et souvent développés sous forme de juxtapositions de tableaux sonores, à l’image de « Herbie and Pierre ». La composition commence par une introduction élégante du piano dans les aigus, se poursuit dans l’esprit d’une fugue, avant un tour dans les graves. Puis, à un peu plus de sept minutes, le trombone entre en lice avec fracas, et, après quelques phrases à l’unisson, introduit un changement radical : des phrases courtes se succèdent, entrecoupées de silence, et le morceau prend une tournure rythmique. Ensuite, le chorus du trombone dégage un swing soutenu que l’accompagnement énergique du piano (ligne de basse bien marquée et accords puissants) accroît encore. Le final, axé autour des thèmes du piano et du trombone, est rapide et drôle. La même démarche anime « Fall », « Lay Low », « The Move » ou « Itapo ». Certains auditeurs émettront une légère réserve sur la durée des morceaux, parfois un peu excessive (dix minutes en moyenne), mais c’est ce qui peut arriver quand deux musiciens s’amusent beaucoup !

Nabatov passe d’un lyrisme légèrement romantique (« Fall », « Herbie and Pierre », « Simple Sentiment ») à la musique contemporaine (« Ballooning », « Fall »), mais glisse également des touches latinos (« The Move ») ou part dans le style « cake-walk » (« Itapo »). A l’instar de son aîné récemment disparu, Albert Mangelsdorff, Wogram est un tromboniste clair et précis, doté d’un jeu souple et complet : effets « multiphoniques » avec la voix (« Lay Low ») ou le souffle (« Ballooning »), lignes élégantes (« The Move » ou de « Simple Sentiment »), swing contagieux (« The Move »), jeux avec les rythmes (« Herbie and Pierre », « Lay Low »)…

Autre caractéristique du duo : l’humour - par exemple au démarrage de « Lay Low », dans « Itapo », mais aussi la berceuse de boîte à musique - qui se substitue peu à peu aux deux musiciens et conclut l’album. Ironie du duo, il s’agit de la deuxième valse de la deuxième Jazz Suite de… Dimitri Chostakovitch (pour ceux qui ne le sauraient pas, c’est la musique utilisée par la CNP dans ses films publicitaires).

Entrecroisements de voix, questions-réponses, unissons, contrepoints… Wogram et Nabatov jouent réellement en duo ! Cette complicité complexe, homogène et joyeuse fait de The Move un album de premier ordre.