Chronique

Simon Nabatov Mark Dresser

Projections

Simon Nabatov (p), Mark Dresser (cb)

Label / Distribution : Clean Feed

Même si les domaines explorés sont peu ou prou les mêmes chez ces deux aventuriers du son, que les collaborations de l’un recoupent ou complètent celles de l’autre pour finir par dresser la cartographie de tout ce qu’il peut y avoir d’exigeant en matière d’improvisation, Mark Dresser et Simon Nabatov n’avaient jamais enregistré ensemble en duo. Le premier, réputé comme l’un des contrebassistes les plus prolifiques de son époque, à son aise dans tous les contextes, particulièrement en solo, est surtout connu en France pour avoir évolué dans la constellation John Zorn ou celle d’Anthony Braxton. Son collègue, de son côté, défend une discographie tout aussi pléthorique. La liste de ses rencontres est longue : leader de plusieurs formations dans lesquelles on retrouve un trio avec Mark Helias et Tom Rainey, un quartet avec Nils Wogram ou un octet en compagnie de Ernst Reijseger et Phil Minton, Simon Nabatov, par l’appétit de musique comme par le physique est à ranger du côté de ces personnages ogresques capables de tout absorber avec une facilité déconcertante.

Cependant, si l’exubérance peut encore caractériser une partie de sa pratique, c’est ici la délicatesse qui saute immédiatement aux oreilles. Rompus l’un comme l’autre à l’exercice du duo, le Russe comme l’Anglais savent tout de l’exigence qu’implique ce genre de dialogue et c’est avec une délicate sobriété qu’ils se prêtent à l’exercice.

Une jugement hâtif qualifierait ce disque de monotone et unichrome. Il faut porter son attention sur les détails qui le construisent pour en découvrir toute la saveur. Sous des lignes abstraites ou sèches se révèlent de grands intervalles parfaitement fondus dans le discours et l’usage complémentaire de bruits périphériques (frappes, pincements de cordes, grincements) s’articule méticuleusement au cœur des phrasés de chacun tout en faisant également la jonction avec les propositions de l’autre. On découvre alors une grande maîtrise du lâcher-prise et, derrière les dissonances cristallines, une mélodie pudique peut parfois jaillir comme c’est le cas sur « La Ment ».

Ailleurs, la belle articulation du clavier de Nabatov et le mordant de ses traits rappellent en filigrane les grand maîtres du swing et expriment une âme tempétueuse et lyrique, notamment sur « Pliant Giant », titre dans lequel Dresser n’est pas en reste dans l’énergie contrôlée. Les deux sont, en effet, aussi volontaires l’un que l’autre et pareil à ces réseaux fluviaux vus du ciel se dispersent en de multiples bras pour finir par se jeter dans une même mer.