Scènes

No Tongues, Oyapock sur Seine


No Tongues © Franpi Barriaux

Pour une rentrée rouennaise, rien de tel que d’en partir très loin : pour le premier concert de la saison pour l’association Home Factory, c’est du côté du fleuve Oyapock, en Guyanne, qu’on nous emmène. Enfin, moins loin, à La Brique, la brasserie du coin, où les quatre voyageurs de No Tongues nous attendaient pour un voyage sonore. Embarquement immédiat.

On peut dire que Matthieu Prual est un sacré conteur d’histoire ; on n’avait pu le constater dans le récit de leur voyage guyanais en ces pages, mais sa façon de raconter sur scène est tout aussi prenante. Pas seulement d’ailleurs quand il s’agit de prendre la parole, puisque la musique suffit. Les dispositifs électroniques et les field-recordings ne sont pas les seuls vecteurs des images et de l’imagination : lorsque Matthieu Prual est à la clarinette basse, ce sont les profondeurs de la forêt vierge et les bruits inhérents à l’empreinte humaine. C’est là qu’on juge toute l’importance des deux contrebasses de Ronan Prual et Ronan Courty : le bois des instruments est une matière vivante, les cordes s’altèrent et vibrent comme des corps en mouvement. Tout au long du voyage, de station en station, de l’embouchure du fleuve jusqu’au premier village, les paysages changent et la musique avec elle. La trompette d’Alan Regardin et le souffle de Matthieu Prual font tourner les moteurs. Le voyage est total, avec ce qu’il faut de plongée dans les rythmes et les rites des musiques traditionnelles.

Ronan Courty © Franpi Barriaux

La force de No Tongues, c’est de bannir tout exotisme. Si altérité il y a, elle n’est pas utilisée pour le dépaysement, mais pour l’illustration, comme dans leur premier album, d’un carnet de voyage ; et l’on marche dans leurs brisées. C’est tout le travail des contrebasses : Ronan Prual convoque le rythme, va chercher au plus profond de son instrument des racines chamaniques. Quant à Ronan Courty, c’est la liberté totale qu’il recherche. À le voir jouer, on est impressionné par son approche foncièrement physique de l’instrument ; non dans la puissance, mais au contraire dans l’agilité. Le rapport au corps est omniprésent, et le rituels du contrebassiste sont proches de la danse. Que ce soit lorsqu’il leste ses cordes d’objet ou lorsqu’il frotte sa contrebasse avec des brosses, il est dans une expression qui va au-delà de la musique et cherche la communion avec le reste du quartet. Il y a chez No Tongues un culte du son qui apparaît immédiatement dans le récit et qui n’empêche pas l’orchestre, en toute fin de concert, de s’engager dans une turbulence free que n’aurait pas reniée Don Cherry. Le retour sous nos latitudes se fait d’autant plus douillettement que le lieu atypique se prêtait parfaitement à ce genre de voyage immobile.