No Tongues rentre au pays
No Tongues, la voie/x vers le monde et le chemin du retour.
Alan Regardin, photo Michel Laborde
Formation nantaise, No Tongues proposait un set au Pannonica pour clôturer, d’une certaine manière, le programme présenté dans leur dernier disque. Après avoir été là-bas, sous d’autres latitudes ou confrontés à d’autres cultures, le quartet jouait sur place, chez lui. Ce qui ne l’empêche pas d’accueillir l’Autre, en l’occurrence Linda Oláh et Elsa Corre.
Ils ont marqué leur époque voici six ans en adaptant les Chants du Monde, florilège des musiques des peuples primitifs paru chez Ocora. Ce qui aurait pu être un one shot s’est avéré un territoire à creuser plus longuement. Ainsi deux ans plus tard, le groupe voyageait jusqu’en Guyane pour remonter l’Oyapock, rivière inspirante, sujet de leur disque Les Voies de l’Oyapock. Partis ailleurs, c’est naturellement qu’ils reviennent ici. Et continuent de renforcer un son de groupe unique que l’expérience partagée a fait gagner en densité.
Deux contrebasses complémentaires définissent le périmètre de la scène et imposent un mobilier massif sous le plafond bas du club. Devant à droite, Ronan Prual joue la stabilité, creusant profondément des sons réguliers aux cycles entêtants quoique modestes dans leur réalisation. Au fond à gauche, Ronan Courty se situe dans une expressivité en retenue là aussi, mais plus mobile.
N’imaginez pas pourtant que ce quartet sans batterie délègue entièrement la fonction de socle à ses partenaires boisés. Que ce soit la trompette (transformée souvent) d’Alan Regardin ou les saxophone et clarinette de Matthieu Prual, les soufflants sont aussi dans une approche sommaire. Sommaire puisque refusant la virtuosité, mais hyper expressive quant au sens donné : la musique déployée est profonde, tellurique en ce qu’elle cherche à mettre en mouvement un bloc d’intensité, une énergie lourde, antédiluvienne, traversée par des traits fulgurants et volatils, des textures granuleuses que complète un appareillage électronique.
- Matthieu Prual, photo Michel Laborde
Le public est inévitablement saisi, happé, accaparé, n’ayant d’autre choix que de se laisser envahir par cette plénitude bruyante et insistante. La venue sur scène de la chanteuse et vocaliste Linda Oláh apporte un complément d’incarnation à cette musique déjà organique. Son chant guttural ou plus syncopé ne chante pas, il s’immisce entre les lignes des instrumentistes, les souligne, les appuie, les révèle dans des dimensions nouvelles. Elle trouve sa place logiquement, ayant su choisir l’angle idéal pour faire valoir sa personnalité.
Vient ensuite (ou avant, on ne sait plus tant le temps est en suspens durant ce concert) une jeune fille, certainement fille de Matthieu Prual (du moins c’est ce qu’on se dit) qui lit un extrait d’un poème. Là encore, cette voix d’enfant porte une chaleur humaine, une dimension d’innocence confrontée à la force de la musique qui avance inexorablement. Là-bas, ici, au plus haut, au plus profond, le groupe est une boussole en mouvement permanent pour pointer les différents horizons.
C’est enfin la chanteuse andalouse Elsa Corre qui, elle, arrive avec sa culture. Chant traditionnel venu du fin fond de l’Andalousie, dans sa langue rugueuse qui flirte avec l’espagnol mais n’en est pas vraiment, elle entraîne derrière elle ses partenaires pour une ascension lyrique et définitive. No Tongues, la voie/x vers le monde et le chemin du retour.
Appuyés à une structure qui facilite l’organisation de leur métier, les membres du groupe proposent également chez Les Mouflons, du nom de cette structure comme de leur label, quelques disques qui travaillent la même veine : La Démesure du pas, composé par le clarinettiste, ou prochainement un disque de Ronan Courty.