Chronique

No Tongues

Ici

Matthieu Prual (s), Alan Regardin (tp), Ronan Prual (cb), Ronan Courty (cb) + Isabel Sörling, Linda Oláh, Isaïe, Molly Lina, Elsa Corre, Loup Uberto

Label / Distribution : Ormo Records

Troisième déclinaison pour le quartet nantais No Tongues, après deux premiers disques qui avaient impressionné par l’originalité du propos et la cohérence de sa mise en œuvre. Utilisant comme point de départ le primitivisme de certaines musiques traditionnelles (celles qu’on peut découvrir notamment sur le disque Les Voix du monde, une anthologie vocale qui constitue le point de départ du premier disque, ou celles entendues à l’occasion d’un voyage le long de l’Oyapock en Amazonie pour le second), le groupe fonde son approche sur une dimension physique de la musique que l’on trouve notamment dans de nombreux rituels.

Après ces périples à travers le monde, qu’ils soient fictifs ou physiques, retour à la maison pourrait-on dire. Ici s’inscrit bien dans le prolongement de ses prédécesseurs mais à partir d’une construction « locale ». Les musiciens ont en effet, cette fois, collecté des bruits de leur environnement (la bruine sur le velux, un feu, le bipbip d’un téléphone, un joggeur, un robinet, un pull qui s’égoutte…) et construit leur programme autour.

On retrouve donc la spécificité du groupe : ces cadences entêtantes qui induisent une forme de transe, tout au moins d’abandon, et, qui en accaparant l’attention, permettent de plonger dans la découverte de sonorités puissantes et enveloppantes. Le groupe fonctionne toujours en formation resserrée et les deux basses de Ronan Prual et de Romain Courty, la trompette d’Alan Regardin et le saxophone deMatthieu Prual avancent avec force sans que se détache aucune individualité. La présence d’invité.e.s (Isabel Sörling, Linda Oláh notamment) ne fait pas exception à la règle, pénétrant le cœur de la matière pour faire son et sens ensemble.

En huit plages, on voyage à travers un monde peuplé d’êtres étranges qui convoquent une spiritualité sans âge : sur « Franin d’Alia », le chant engorgé de Loup Uberto, musicien « brut » qui explore, par ailleurs, les mélodies traditionnelles du nord de l’Italie et dont nous recommandons l’écoute sur bandcamp, est saisissant.

Si le quartet prolonge une nouvelle fois un sillon à l’impact moins prégnant que sur les deux premiers disques - car plus attendu ; le retour à son lieu d’origine boucle une boucle. En inventant, cette fois, un univers insolite qui n’appartient à aucun territoire et semble pourtant les évoquer tous, No Tongues reste unique dans le paysage actuel, pourvoyeur d’une force d’évocation d’une parfaite originalité.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 30 avril 2023
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