Chronique

Ornette Coleman

Sound Grammar

Ornette Coleman (as, tp, vl), Greg Cohen (b), Tony Falanga (b), Denardo Coleman (dm)

Label / Distribution : Sound Grammar

Allons droit au but, comme la musique d’Ornette Coleman : Sound Grammar est exceptionnel.

Enregistré lors d’un concert en Allemagne en 2005, cet album - le premier depuis dix ans - marque également la création du label éponyme, qui succède ainsi à Harmolodic.

Outre Denardo à la batterie, Coleman est entouré de deux contrebassistes : Greg Cohen à la fois présent dans le jazz (John Zorn, Dave Douglas) et le rock (Lou Reed), et Tony Falanga qui partage son activité entre classique et jazz.

Coleman n’a pas tort de parler de « grammaire du son » : depuis près de quarante-cinq ans, sa musique suit des règles phonétiques, morphologiques et syntaxiques qui en font un langage musical à part et immédiatement reconnaissable.

La phonétique : le son de chaque instrument définit un élément du langage musical de l’altiste, et réciproquement. La contrebasse en pizzicato pour des lignes rythmiques et harmoniques denses ; la batterie qui gronde et maintient le quartet sous tension ; la contrebasse à l’archet qui double le saxophone, tantôt à l’unisson, tantôt en décalé, ou qui nappe le fond d’une plainte continue ; et l’alto qui est comme une déchirure dans ces décors lourds et puissants.

La morphologie : dans ses grandes lignes, la forme du langage musical de l’artiste n’a pas bougé d’un iota depuis Something Else !!!. On retrouve les mélodies de fanfare ingénues et vives ou, au contraire, les mélopées lancinantes et tristes, les tempos variables, mais plutôt rapides, les démarrages et finales abrupts, les rythmes enchevêtrés, les voix entremêlées… Et l’alto, toujours partagé entre mélodie et délire, avec quelque chose « d’enfantin », pour reprendre un mot de Martial Solal.

La syntaxe : la combinaison des sons dans le langage musical de Coleman est d’une grande cohérence et revêt un sens dramatique puissant. Même si c’est une musique d’une grande liberté par rapport aux « normes habituelles », l’auditeur n’est jamais perdu car l’artiste introduit subtilement des bornes qui permettent de garder le cap. Ici il s’agit d’une ligne de walking bass rassurante, là de roulements réconfortants ou encore de bribes mélodiques apaisantes, sans parler des thèmes, presque familiers.

Au-delà des « aspects grammaticaux », comme le dit le saxophoniste, « le son, la voix seront toujours plus représentatifs que l’apparence pour ceux qui vous connaissent ». Dans Sound Grammar, c’est bien le son d’Ornette que Coleman révèle, sans fard ni oripeaux. Et cette musique de l’être est simplement belle et touchante.

par Bob Hatteau // Publié le 8 janvier 2007
P.-S. :


1. « Jordan » Ornette Coleman (6’32)
2. « Sleep Talking » Ornette Coleman (8’55)
3. « Turnaround » Ornette Coleman (4’07)
4. « Matador » Ornette Coleman (5’57)
5. « Waiting For You » Ornette Coleman (6’50)
6. « Call To Duty » Ornette Coleman (5’34)
7. « Once Only » Ornette Coleman (9’41)
8. « Song X » Ornette Coleman (10’22)