Chronique

Philippe Canovas

Thanks

Philippe Canovas (g, effets, loops), José Barrachina (prog., traitements sonores)

Label / Distribution : Autoproduction

Ce disque du guitariste Philippe Canovas mérite vraiment qu’on s’y arrête. On ne le trouvera pas sous forme de CD, signe des temps, malheureusement. Mais le guitariste a trouvé refuge sur un e-label appelé Cordes et Âmes, qui assure le téléchargement non seulement de sa musique en haute qualité audio (au format FLAC, au même prix que le mp3), mais aussi du livret. Une production également disponible sur la plupart des plateformes de téléchargement.

Philippe Canovas, on le connaît entre autres pour être membre du trio Tu Danses ? dont le dernier disque, Autres directions, a en commun avec lui la volonté de multiplier les idées, comme s’il s’agissait de jeter sur le plan de travail des pistes à explorer, tout de suite ou un peu plus tard, selon la disponibilité d’esprit. Mais là où Tu Danses ? engendre un déséquilibre savamment entretenu par une belle interaction avec le saxophoniste Jean-Marc Baccarini et le batteur Christian Mariotto, la proposition de Thanks est de tout autre nature. Les vingt pièces qui le composent, toutes signées Canovas à l’exception d’« Unravel » (Björk) et de « Stella By Starlight », sont à considérer comme de petites bulles évanescentes savamment sculptées par l’artiste, qui peut superposer ses instruments ou recourir à des subterfuges soniques par le biais de boucles et autres inventions de textures sonores, avec la complicité ici ou là, après l’enregistrement, de José Barrachina, qui vient modeler la pâte sonore de plusieurs compositions (« Tête en l’air », « Psy Cowboy ») avant d’assurer le mixage du disque.

Œuvre discrète d’un instrumentiste accompli, Thanks est d’abord un disque très attachant, une collection de petits instants captés sur le vif et dont l’ordre n’a pas vraiment d’importance. « Je conseillerais à l’auditeur de l’écouter par tous les bouts, de fait ce sont d’autres histoires que l’on pourra entendre ». On se gardera bien d’accoler une étiquette à cette succession de scénarios suggérés : beaucoup d’influences se télescopent dans cet album intime et discret, Philippe Canovas citant spontanément Jim Hall, Kenny Wheeler, Bill Evans, Wayne Shorter, Antonio Carlos Jobim ou Toninho Horta. Jazz certainement, un peu de bossa nova (malicieusement travestie sous le nom de « Cano Nova ») [1], mais aussi des climats plus proches du rock ou du folk. Thanks est surtout un hymne à la guitare, sous de nombreuses formes, dans une célébration pacifiée qui jamais ne sombre dans les travers de l’hétéroclite, unifiée au contraire par la douceur revendiquée de son interprétation. Canovas nous tape sur l’épaule, comme un ami, plus qu’il ne nous tire par la manche pour nous assener qu’il a raison.

Pour finir, adressons nos remerciements à Franck Agulhon. Car si le batteur est ici co-producteur avec Canovas, il est avant tout l’ami grâce auquel ce dernier a fini par accepter de s’exposer et de livrer sa musique, non sans avoir longuement résisté. Il a en outre pu bénéficier de belles conditions d’enregistrement au Studio 26 d’Antibes, prenant à l’évidence un vrai plaisir à jouer d’une gamme d’instruments étendue, y compris la guitare acoustique. Cette confession musicale – qui n’hésite pas à vanter les charmes d’une « Fiat 500 » sur un mode presque nostalgique – est à savourer sans modération, car l’expression de Philippe Canovas, d’une élégante discrétion, n’en est pas moins porteuse de beaucoup d’imaginaire.

par Denis Desassis // Publié le 12 novembre 2012

[1Canovas manifeste depuis longtemps un vif intérêt pour la musique brésilienne, notamment à travers l’ensemble Guarana ainsi qu’avec son duo Belo Horizonte, quo l’associe au guitariste François Cordas. Dans un registre différent, il a enregistré en 2003 Contre favorables avec un quintet où l’on retrouve Baccarini et Mariotto, futurs complices du trio Tu Danses ?.