Chronique

Steve Lehman & ONJ

Ex Machina

Label / Distribution : ONJAZZ Records

Pour ce nouveau programme, le chef et compositeur Frédéric Maurin rassemble des musiciens d’envergure dans une version premium de l’Orchestre National de Jazz dont il a le mandat de direction et, pour l’occasion, invite le saxophoniste américain, lui aussi compositeur, Steve Lehman (voir l’entretien), avec qui il co-signe l’intégralité des titres. À ce line-up haut de gamme, il faut ajouter une collaboration originale et atypique avec Jérôme Nika , chercheur et musicien électronique à l’Ircam et concepteur du logiciel Dicy2 (voir notre article) qui complète avec curiosité le vif intérêt que l’on peut porter à ce projet.

C’est peu de dire qu’on attendait ce disque. Après la belle variété des répertoires précédents, Ex Machina repose en effet sur des recherches novatrices en matière d’interaction entre humain et machine. S’appuyant à la fois sur une écriture complexe menée en amont et sur sa nécessaire complémentarité dans le temps de l’interprétation, les deux compositeurs ont choisi d’investir le champ de la musique spectrale pour éprouver toutes les dimensions sonores d’un orchestre qui se plie avec souplesse à ces audaces stylistiques.

Retrouvant les traits caractéristiques du style de Lehman (qui a été à la fois l’élève de Tristan Murail et d’Anthony Braxton) dans des pièces constituées de nappes vibrantes aux textures subtiles sur lesquelles des solistes (notamment Jonathan Finlayson à la trompette) s’évertuent à enchaîner des interventions éclatantes, la formation s’envisage plus spécifiquement comme une structure hybride au sein de laquelle les échanges des improvisateurs avec le logiciel DICY2 se font dans une interactivité stimulante et un naturel confondant. Que ce soit Christiane Bopp, Fanny Ménégoz ou encore Bruno Ruder, pour ne citer que ces trois-là, tous parviennent à créer des univers sonores qui sont déjà en eux-mêmes des architectures mobiles neuves interagissant avec le logiciel, mais qui ne se limitent pas à de simples interludes puisqu’ils servent, en réalité, d’articulation à un discours narratif toujours soigné qu’ils complètent et enrichissent.

En cela d’ailleurs, les pièces de Maurin, plus sinueuses et moins immédiates que celles de son collègue américain, sont les moyens de découvrir ce que la musique contemporaine la plus aboutie peut apporter dès lors qu’elle est appliquée au domaine du jazz et de l’improvisation la plus en pointe. Faisant fi de ces étiquettes, l’ONJ offre un large répertoire, stimulant par son approche exploratoire et assumé dans sa manière de faire vivre au présent une musique nouvelle. 

par Nicolas Dourlhès // Publié le 29 octobre 2023
P.-S. :

Frédéric Maurin (dir), Fanny Ménégoz (fl), Catherine Delaunay (cl), Julien Soro (ts, cl), Fabien Debellefontaine (bs, cl, fl), Fabien Norbert (tp, buggle), Daniel Zimmermann (tb), Christiane Bopp (tb), Fanny Meteier (tuba), Bruno Ruder (p, synth), Stéphan Caracci (vibraphone, marimba, glockenspiel, percussion, synthesizer), Rafaël Koerner (dms) Sarah Murcia (cb), Jérôme Nika (création électronique), Dionysios Papanikolaou (élec).