Scènes

Pierre De Bethmann et David El-Malek à l’Improviste


Complices de longue date, David El-Malek et Pierre de Bethmann ont l’habitude de s’inviter sur leurs projets respectifs. On a notamment pu entendre le saxophoniste sur tous les albums du pianiste, hormis ceux gravés avec le mythique trio Prysm ; De Bethmann apparaît quant à lui sur les disques Organza et Talking Cure d’El-Malek. Sans parler de toutes les occasions qu’ils ont eues de se retrouver sur scène, notamment dans ce format intimiste du duo - petite rencontre régulière, en toile de fond, permettant aux deux musiciens, en marge de leur actualité, de partager des instants de musique détendus. Au programme de ces concerts, des standards, ceux qu’ils aiment, et des compositions de l’un ou de l’autre. Le 22 juin 2012, sur la scène de l’Improviste, ils se sont livrés à cet exercice récurrent, ré-explorant quelques mélodies d’hier, d’aujourd’hui et de demain ; le concert débute par une relecture du « Tones For Joan’s Bones » de Chick Corea (1966). Il se clôturera sur une très belle ballade (construite sur le 3e mode à transposition limitée cher à Olivier Messiaen) qui figurera sur Go, le prochain album de De Bethmann (septembre 2012).

En dépit des périodes différentes dont ils sont issus, tous les morceaux s’enchaînent logiquement puisque portant la patte des deux musiciens. Pourtant, l’ordre est aléatoire, suivant l’envie du moment, d’un côté comme de l’autre. Dès l’ouverture, le pianiste embrasse son clavier du regard et lâche d’un air dubitatif : « Alors, comment je vais le commencer celui là ? ». Fort heureusement, De Bethmann a l’art de poser les choses et de mener le dialogue. Avec un son très plein, profitant de l’espace pour étendre la résonance de son instrument et laisser flotter ses notes, il alterne avec assurance et espièglerie embardées solitaires et passages d’accompagnement. Soliste imprévisible et inspiré, il saura ponctuer ces deux heures de concert (tout de même) de fort jolies phrases, appuyées sur un jeu harmonique dense et en perpétuel mouvement. Complexe par son caractère insaisissable, mais constamment accessible et chantant, son discours, organisé en flux d’intensité, se tempère, s’apaise lorsque vient le souffle du saxophone.

David El-Malek, ce n’est pas une découverte, a un très beau son de ténor. Dans ce contexte, il en tire de longues phrases rondes aux dynamiques appuyées, laissant ses doigts cheminer au rythme de ses idées et des élans d’énergie que suscite l’interactivité. Résultat de ce lâcher-prise (qui requiert une sacrée maîtrise technique) : un discours robuste mais sensible au sein duquel les souffles intimes se joignent, gagnent en puissance, s’épaississent à la manière de ruisseaux qui deviennent des fleuves. De la même manière que ceux-ci se jettent dans la mer, c’est en toute confiance que les notes du saxophoniste et celles du pianiste se mêlent pour offrir un paysage pur qui, à l’image de cette mer, évoque aussi bien la force que la fragilité.

L’un et l’autre s’apprêtant à sortir un disque en septembre (Music From Source Volume 2 pour David El-Malek), il y a fort à parier que nous reparlerons très vite de ces talentueux musiciens. Leur duo est passionnant et permet, un peu comme celui de Julien Lourau et Bojan Z, de profiter pleinement de leur musicalité, particulièrement mise en valeur dans ce contexte intimiste.