Chronique

Diego Imbert

Le Temps suspendu

Diego Imbert (b), David El-Malek (ts), Quentin Ghomari (tp, flh), Franck Agulhon (dms).

Même s’il fut loin d’être inactif durant ces dernières années - en témoignent par exemple son duo Interplay avec Alain Jean-Marie en hommage à la musique de Bill Evans, plus récemment celui consacré aux Django’s Songs aux côtés d’Adrien Moignard ou encore son Tribute To Charlie Haden - Diego Imbert n’avait pas pris les commandes de son quartet acoustique depuis près de dix ans, au temps de l’album Colors en 2014. Le voici de retour, dans une formule légèrement modifiée puisque Quentin Ghomari reprend le pupitre d’Alex Tassel à la trompette et au bugle. Pour le reste, l’équipe peut compter sur la présence des fidèles David El-Malek (saxophone ténor) et Franck Agulhon (batterie).

Un quatuor sans piano donc, dont l’expression intemporelle du fait d’un classicisme assumé colle parfaitement au propos de son quatrième rendez-vous. Le temps suspendu, on le comprend très vite en découvrant les titres de onze compositions (« Les Paperolles », « Combray », « La Fugitive », « La Recherche »…), est évidemment un hommage à A la recherche du temps perdu de Marcel Proust, œuvre totale que le contrebassiste a relue durant le confinement de 2020. Mais il n’est en rien une paraphrase ou une tentative d’illustration sonore de la quête existentielle de l’écrivain. La convergence se situe plutôt dans son état d’esprit, dans sa disponibilité vis-à-vis de la musique et de sa perception intérieure, dans ses élans mélodiques et l’élasticité de son rythme, jusqu’au moment d’approcher le silence et de comprendre son sens profond. C’est en effet dans la fluidité et la volubilité des interactions entre les solistes (la conversation entre Quentin Ghomari et David El-Malek est passionnante) ou la maîtrise de l’élasticité du rythme (la paire Imbert - Agulhon, aguerrie par des années d’amitié, est un modèle du genre et excelle aussi bien dans les tempos élevés que dans les ballades) qu’on trouvera une explication musicale à la référence proustienne.

Et pour celles ou ceux que les trois mille pages de La Recherche pourraient effrayer, on soulignera que Le Temps suspendu n’en requiert pas nécessairement la lecture – même si nous ne saurions que trop la recommander – et qu’il est avant tout un exemple parfait de ce que peut exprimer la musique de jazz lorsqu’elle s’affranchit de tout effet de mode et se concentre sur l’essentiel : la vibration conjointe de l’âme et du corps (body and soul) et l’expression d’un chant. Il est aussi, très certainement, le disque le plus accompli de Diego Imbert, assurément devenu au fil des années un de nos plus attachants maîtres… du temps.