Chronique

Plug and Pray

Evergreens

Benoit Delbecq (p, cla, elec, fx), Jozef Dumoulin (cla, rhodes, elec, fx)

Label / Distribution : Dstream / L autre Distribution

La rencontre était inéluctable. Elle le demeure, c’est la moindre des choses avec des improvisateurs de ce calibre, imprévisibles. Les deux adjectifs qualificatifs peuvent sembler contradictoires. Ils démontrent surtout que Benoît Delbecq et Jozef Dumoulin, bien qu’étant explorateurs des splendeurs de l’électronique, ne se complaisent guère dans les postures binaires. C’est la sensation que l’on a en tout cas à l’écoute de « Slow Stepper », dont les rythmiques complexes travaillées par Delbecq accueillent le son immédiatement assimilable du Fender de Dumoulin. Evergreens, le premier album de ce duo Plug and Pray constitue une jubilation évidente d’ouvrir grandes les portes de leurs univers pour qu’ils s’amalgament. « I Had A Dream About This Place » en est sans doute la quintessence : un piano aux résonances contrariées par quelque artefact irréel, une persistance telle une brume… Tous les ingrédients du sommeil paradoxal ou d’un trouble dissociatif, du simple pouls qui s’accélère sans raison jusqu’au sentiment de déréalisation fugace (« Le déjà vu »).

Les trajectoires de ces musiciens sont des courbes parallèles, de Kartet à Octurn et de Halvorson à Eskelin. Dans leur carrière respective, le recours à des sons électroniques, altérés, trafiqués est aussi très central, des expériences de Dumoulin de A Fender Rhodes Solo jusqu’aux Amants de Juliette de Delbecq. A ce titre, « Sonate pour un printemps meilleur » sonne comme un manifeste pour une musique électronique intuitive, libéré des carcans de la programmation par une sorte d’aléatoire concerté. Son lot de pluies sporadiques et de minéraux irradiés de soleil donne à l’atmosphère une sensation enivrante. Les claviers de Delbecq et de Dumoulin tracent des parallèles dont les traités de géométrie nous informent qu’elles sont sécantes à l’infini. Voici donc l’infini, pourrait-on en conclure ; « Singapore Rhapsody », prend le parti de décrire celui-ci comme une cité moderne et trépidante qu’on visite en surplomb, à peine poussé au gré des vents.

Les machines peuvent-elles avoir une âme ? C’est la dernière question laissée en suspens par la paire de claviéristes. Comme toujours pour les interrogations métaphysiques, la réponse dépend de sa propre expérience, de son propre ressenti. Nombreux seront ceux qui théoriseront que l’électronique n’est qu’un outil qui exprime fidèlement la vision des musiciens. D’autres en revanche diront qu’il y a une forme de magie et d’inconnu, pour dire le mot, de transcendance dans ce qui se trame entre Benoît Delbecq et Jozef Dumoulin. Un seul évangile : Plugand Pray !