Entretien

Pulcinella, quinze ans de Punch !

Entretien avec les quatre musiciens de Pulcinella à l’occasion des quinze ans de la formation

Pulcinella par Michel Laborde

15 ans jour pour jour (ou quasi) après la création du groupe – les musiciens venaient de fêter deux jours auparavant l’anniversaire de leur premier concert – retour sur Pulcinella avec Florian Demonsant, Ferdinand Doumerc, Pierre Pollet et Jean-Marc Serpin

- Si on aborde un peu l’histoire du groupe, impossible de ne pas en évoquer la genèse. Comment le quartet est-il né ?

Ferdinand Doumerc : on vient de fêter les 15 ans de notre premier concert. C’était dans le cadre d’un Pavé dans le Jazz, en première partie d’Akosh S. et de Joe Doherty en janvier 2005. On a eu beaucoup de chance car ce concert nous a permis de jouer devant une salle pleine. En fait le groupe avait été créé quelques mois auparavant et comme aucun de nous n’avait d’engagement à ce moment-là, on s’est consacré à temps plein à Pulcinella. On allait chez Frédéric Cavallin [1]. On travaillait du matin au soir, jusqu’à trois fois par semaine. On a donc eu rapidement un répertoire assez conséquent. Et puis on avait le temps d’échanger sur l’esthétique qu’on voulait.

- Ferdinand, vous avez été à l’initiative de ce groupe. Pourquoi un accordéon ? L’instrument n’était pas fréquent à ce moment. En tout cas bien moins que maintenant.

Ferdinand Doumerc : je voulais faire un groupe avec un accordéoniste. J’étais sous le coup d’un disque de Serge Lopez avec Jean-Luc Amestoy et surtout de l’album Charms of the Night Sky de Dave Douglas sur lequel joue Guy Klucevsek. C’est ce qui m’a guidé vers l’accordéon. Pour l’anecdote, en bas de chez moi il y avait un facteur d’accordéons. Je suis allé dans son magasin et lui ai demandé s’il pouvait m’indiquer des accordéonistes pour un groupe à tendance jazz. Il m’a alors parlé de Florian et, hop, à cet instant, le téléphone sonne et c’était Florian. Il n’y a pas de hasard !

Florian Demonsant : je me souviens de l’enthousiasme de Ferdinand. Au premier abord, j’étais assez réticent au jazz. Je venais du musette, des musiques des Balkans et des musiques improvisées. Je jouais dans les Biodégradés où on faisait beaucoup d’improvisations sur le son. On expérimentait, on cherchait des choses qui n’avaient jamais été faites. J’étais dans ces démarches-là. J’avais travaillé avec Denis Badault et Marc Démereau mais je n’étais pas jazz. Alors, quand Ferdinand m’a proposé un quartet, mon premier réflexe a été hésitant. La rencontre avec Frédéric Cavallin a été pour moi facilitatrice. Il baignait lui aussi dans l’impro totale, le travail sur l’énergie, la matière sonore. Le travail sur la recherche de notre son nous a rassemblé tous les quatre, tout comme le fait de raconter des « histoires sonores ».

Jean-Marc Serpin : d’ailleurs Florian est plus qu’un accordéoniste : il a amené une touche originale, quelque chose de fou.

Pulcinella © Frank Bigotte

- Quinze ans, c’est un chemin finalement assez long. Qu’est-ce que vous retenez comme événement dans l’histoire du groupe ?

Ferdinand Doumerc : faire partie du dispositif Jazz Migration a été une super opportunité. Ça nous a permis de jouer sur de belles scènes en France et de nous montrer à des programmateurs étrangers qui nous ont ensuite invités, notamment en Hongrie où nous sommes allés près d’une dizaine de fois pour jouer ou enregistrer.

Jean-Marc Serpin : un autre événement a été l’arrivée de Pierre [Pollet] en 2014 quand Fred a quitté le groupe. Ça a donné une autre patte au quartet.

Ferdinand Doumerc : il y a eu aussi cette date en 2016 à la Fontaine minérale, un concert dans la Drôme. On arrivait de Berne où on avait joué la veille, hyper crevés, et on voit un panneau « Pulcinella, grand bal ». On s’interroge car on n’avait jamais fait de bal et on n’avait pas de répertoire pour ça. Les organisateurs confirment qu’on attend plusieurs centaines de spectateurs qui viennent pour danser et qu’on va jouer trois heures. Gros flip. Finalement on s’est adapté. C’est Florian qui nous a sauvé la mise, en nous apprenant plein de morceaux de musette qu’il connaissait puis en jouant une heure en solo en introduction du concert ! On l’a ensuite rejoint. On a joué, ça a dansé et c’était super. L’idée de notre répertoire de bal Le Grand déballage est née à cette occasion.

Pierre Pollet : il y a eu aussi l’arrivée de l’orgue Elka, un vieil orgue des années 1970 à touches accordéon. C’était sur un concert à Chemillé. Il était dans les loges et on s’amusait dessus. A la fin du concert, l’organisation nous l’a donné, nous disant qu’il traînait là depuis longtemps et que jamais personne ne s’en servait. Au final, ça a changé le son du groupe et Florian en joue sur tous nos répertoires.

Florian Demonsant : j’aime l’acoustique ; à la base je trouve très vastes les possibilités sonores de l’accordéon et je m’en satisfais. Mais j’ai été séduit par le son de cet orgue. Il a un son particulier, avec du charme, un son très années 1970. Il n’y a pas le côté charnel de l’accordéon avec le soufflet. Au début ça m’a manqué mais j’y ai trouvé d’autres intérêts.

Florian Demonsant © Michel Laborde

- J’imagine qu’il y a aussi l’arrivée aux Productions du Vendredi et le travail avec Matthieu Cardon

Ferdinand Doumerc : ah oui, le travail de Matthieu a été très important pour l’évolution du groupe. C’est quelqu’un d’essentiel, avec qui on a une relation forte et sur la durée. Tout comme avec Jacques (Jacques Masliah, sonorisateur) qui est avec nous depuis le début. Ce sont des personnages de l’ombre mais leur travail est fondamental.

- Pierre, vous avez intégré Pulcinella en 2014. La transition a été difficile ?

Pierre Pollet : pas spécialement. On a décidé ensemble de monter un répertoire tout nouveau, celui qu’on peut entendre sur L’Empereur. Ça a facilité les choses, d’autant plus qu’on est allé assez vite.

- Il y a une cohésion entre vous. D’ailleurs il me semble que vous montez vos répertoires rapidement. Pourtant vous semblez venir d’univers musicaux différents.

Ferdinand Doumerc :
tout à fait. C’est un des points qui font la richesse du groupe. A la base, on ne vient pas des mêmes mondes musicaux, donc on ne développe pas une esthétique précise, c’est plus un carambolage de styles. Et malgré nos parcours bien différents, on partage une vision, on se retrouve sur l’envie de raconter des histoires, de surprendre et de se surprendre, de sortir en douceur des sentiers battus… et la volonté, en tant que groupe, de développer une certaine singularité, tout en évoluant sans cesse.

Jean-Marc Serpin : on ne se remplace pas. Si l’un de nous ne peut pas faire la date, eh bien tant pis, on ne la fait pas. Ça nous a fait louper des opportunités mais c’est le signe, comme le disait Ferdinand, qu’on est un groupe.

- Justement pour l’écriture, le collectif compte-t-il beaucoup aussi ? Comment procédez-vous ?

Pierre Pollet : on travaille au consensus. On discute beaucoup sur les arrangements pour que le résultat nous plaise à tous, qu’on assume pleinement tous nos morceaux.

Florian Demonsant : il n’y a pas de chef, personne qui tranche. Ça peut être long car arriver à un consensus, ça nécessite du temps. Mais c’est une richesse, c’est intéressant. De ce côté-ci on n’est pas très jazz. Il n’y a pas de leader mais quatre co-leaders. Ceci dit, si c’est un modèle délicat et fragile, il tourne depuis quinze ans. De plus, Ferdinand a toujours le sentiment qu’on est au début. Ça donne nécessairement des ouvertures incroyables et cette posture contribue beaucoup à notre manière d’écrire.

Pierre Pollet © Michel Laborde

- On note régulièrement le côté circassien, théâtral dans Pulcinella. D’ailleurs le nom du groupe est une référence à la Commedia dell’arte. Comment se passe le lien avec le théâtre ?

Ferdinand Doumerc : ça se fait de manière tout à fait naturelle. Chacun de nous a un personnage sur scène mais on ne force jamais le trait. On ne s’oblige à rien. On voit que Jean-Marc est plus caustique, Florian plus lunaire, Pierre incarne un côté plus sauvage, moi je ne sais pas trop. En fait, le côté théâtral est venu seul et s’il y a de la théâtralité, c’est tout à fait sincère, ça se fait spontanément. Quant au nom du groupe, il y a un lien évident avec la Commedia dell’arte, mais nous aimons aussi le parcours de ce personnage, Pulcinella devenu Punch en Grande-Bretagne, Petrouchka en Russie, Polichinelle en France. L’idée de réappropriation d’un folklore nous plaisait.

- Et puis il y a plein de rencontres. Je pense par exemple à Daniel Casimir, Patrick Vaillant, Hervé Suhubiette, Maria Mazzotta.

Ferdinand Doumerc : oui, ces rencontres ont toujours nourri Pulcinella. On a la chance d’avoir collaboré avec des gens très ouverts et curieux, qu’ils viennent du jazz comme Emile Parisien ou Leila Martial, de la chanson comme Hervé Suhubiette, ou de musiques traditionnelles comme Maria Mazzotta ou le trio colombien La Perla. A chaque fois, on cherche évidemment un code commun, que l’on explose et remodèle ensemble.

Pierre Pollet : en écho à ce qu’on disait tout à l’heure, avec La Perla et Maria, on a monté ces répertoires très vite. Certainement car on n’avait pas beaucoup de temps. Avec la Perla, par exemple, on était sur Bogota pour quelques jours à peine, il fallait aller vite, et cette urgence a été très positive. On s’est tout de suite trouvé parce qu’on n’avait pas le choix !