Scènes

Pulcinella, Nguyên Lê et l’Astrada : fichtre que c’est beau

Retour sur les concerts de Pulcinella et de Nguyên Lê à l’Astrada de Marciac.


Pulcinella © Michel Laborde

L’Astrada de Marciac est une très belle salle, un écrin précieux pour les musiciens et les spectateurs. C’est d’autant plus vrai que la programmation y est d’une excellente qualité, à l’instar de la soirée consacrée à Pulcinella et au quartet de Nguyên Lê. Témoigne de tout cela le silence presque religieux dont a fait preuve le public, car on ne reste pas trois heures durant sans piper mot si on ne savoure pas avec intensité la musique proposée.

Sur la scène de l’Astrada, Pulcinella présentait son nouvel album. Les CD venaient d’ailleurs d’arriver le matin même, annonçait Ferdinand Doumerc, saxophoniste et initiateur de ce quartet qui marque quinze ans d’âge (tout de même !) au compteur. Sachant que le projet avait été construit en partie à l’Astrada lors d’une résidence en automne dernier, la programmation du quartet prenait tout son sens. Mais le concert ne fut pas qu’une histoire entre la salle - dirigée par Fanny Pagès - et les musiciens. Car Pulcinella a depuis toujours les huit pieds bien ancrés sur la terre et sa musique est loin d’être hors sol. Ces quatre-là n’ont jamais cédé à la facilité : on est à des années-lumière d’un registre fadasse ou mielleux. D’ailleurs le public, ce soir-là, ne s’y trompe pas, applaudissant à tout rompre « L’ivresse des profondeurs » qui après un commencement tout en balbutiements maîtrisés se termine en un furieux chorus au sax ténor dont le crescendo s’avère particulièrement efficace.

Ferdinand Doumerc par Michel Laborde

Les applaudissements ne se sont pas transformés en standing ovation – la salle feutrée de l’Astrada ne s’y prête pas – mais l’intensité monte alors indéniablement d’un cran. Les suivants ne seront pas moindres, ainsi qu’en témoignent ceux qui clôturent « Ici hélas » et un solo au sopranino tout aussi bourré de dynamite. Mais Pulcinella, c’est bien quatre musiciens à égalité. Le jeu de Florian Demonsant à l’accordéon et - une première avec ce projet - à l’orgue Elka ou celui à la fois plein de rock et de poésie de Pierre Pollet à la batterie et, sur le dernier morceau, avec un appeau dont la malice tombe avec justesse, en sont une illustration si besoin était. Quant à Jean-Marc Serpin il fait feu de mille espiègleries et d’autant de malices. Espiègleries… le mot est lâché. Car oui et trois fois oui, Pulcinella mélange savamment à son sérieux un caractère déluré qui fait bougrement du bien. D’ailleurs, le rappel s’avère être un bref et soudain tableau fantasque à l’image du groupe.

La seconde partie accueille le quartet de Nguyên Lê qui joue pour l’occasion le répertoire de Streams, un album sorti au printemps. Le guitariste y développe un jeu que ses aficionados connaissent sur le bout des doigts. C’est bien entendu très spectaculaire mais il serait on ne peut plus restrictif et carrément erroné de réduire le jeu de Nguyên Lê à ses seuls aspects techniques. Chez lui, et le concert à Marciac en fut une nouvelle illustration, la technique est au service exclusif de la musique.

Nguyên Lê par Michel Laborde

Sur la scène, il annonce et commente les morceaux. On est dans le registre des mélanges. Entre le jazz et l’Asie, avec le rock également ainsi qu’en témoignent « Swing a Ming » ou encore « The Single Orange », une composition du vibraphoniste Illya Amar, auteur de plusieurs chorus fort à propos au demeurant. D’ailleurs annonçant « Bamiyan », morceau avec lequel le quartet a ouvert le concert, Nguyên Lê, « notre maestro » - selon les mots de Chris Jennings - ne dit pas autre chose : « la rencontre des cultures qui sont un symbole de la musique que nous jouons ». Tout est dit et le quartet nous balade de part et d’autre de la Terre. « Mazurka » nous emmène, contre toute attente, dans les Caraïbes et « Sawira » du côté de l’Afrique du Nord. Le concert se termine avec en bis « Coromandel », un morceau superbement planant où le jeu entre Chris Jennings et Nguyên Lê rappelle avec grand bonheur le duo du guitariste avec Youn Sun Nah sur « Magic Spells ».
Bref, un final d’une grande délicatesse qui nous invite à continuer le rêve dans les bras de Morphée. C’est dire !