Scènes

Radiation 10

Un orchestre artistiquement démocratique…


Le tentet Radiation 10, dont on entendra sans doute parler dans les prochaines années, donnait en février 2008 un concert au Théâtre Municipal de Nevers, ville natale de son créateur, Benjamin Flament. Lauréat du concours de La Défense en juin 2007 (Premier prix de groupe), l’orchestre figure parmi les formations missionnées par le Centre Régional du Jazz en Bourgogne en 2008 et assure cette année une résidence à Créteil pour préparer le spectacle « Intégration de R10-BOW » en collaboration avec les graphistes de « Bowling Club ».

Comme chaque année depuis trente ans, le Concours national de Jazz de La Défense est l’occasion de faire découvrir au public de jeunes talents. Chacune de ses éditions (d’ailleurs associées à un Festival très apprécié de la scène parisienne) a démontré la virtuosité méritée des lauréats. Rappelons que des personnalités aussi reconnues que Manu Codjia, Daniel Zimmermann, Airelle Besson… mais aussi - naguère - Jean-Christophe Cholet, Vincent Mascart et Franck Tortiller ont fait partie des heureux récompensés.

C’est dans le cadre de la trentième édition qu’André Francis annonçait l’été dernier - pour la dernière fois - sur scène la victoire du groupe Radiation 10, qui comporte plusieurs musiciens formés au département jazz du CNSM. Signalons qu’après le Collectif Mu (primé en 1996 et dont sont issus Emmanuel Borghi, Philippe Garcia, Gaël Horellou…) et le Sacre du Tympan de Fred Pallem (lauréat en 2000), Radiation 10 n’est que la troisième grande formation récompensée dans l’histoire de ce concours. Manière originale et pertinente de prouver que malgré les difficultés économiques auxquelles ils sont exposés, les projets d’orchestres existent bel et bien au sein de la nouvelle génération.

Radiation 10 © DJIL

Cet ensemble est né de la volonté du vibraphoniste bourguignon Benjamin Flament (élève d’un certain Franck Tortiller, autre vibraphoniste d’origine bourguignonne qu’on ne présente plus). Il s’organise autour d’une instrumentation atypique : quatre cuivres, quatre cordes, un vibraphone et une batterie, le tout permettant ambiances acoustiques et électriques. Pour les auditeurs habitués aux grandes formations, signalons qu’il ne s’agit absolument pas d’une application directe des thèmes et formes classiquement pratiqués dans le registre du Big Band. Radiation 10 est la réunion de dix musiciens bouillonnant d’idées qui apportent chacun leur compositions propres pour développer l collectivement une musique énergique renfermant de multiples surprises. L’orchestre se dit « artistiquement démocratique » et revendique une musique en perpétuelle évolution. Sa grande créativité réside dans l’originalité de ses univers sonores et son écriture simple, rigoureuse et contrastée, et il n’hésite pas à imposer d’une façon très naturelle des ruptures de climats, de timbres mais aussi de nuances, d’où ses idées musicales, inédites chez les grandes formations. Malgré leurs multiples expériences aucun orchestre français, ces vingt dernières années, n’aura su mêler avec autant d’aisance le côté rock déjanté au jazz et aux musiques improvisées.

Radiation 10 © DJIL

Les parcours individuels expliquent la diversité musicale des influences : Cela va de D’jab trio, Jean-Louis, Monsieur Mordock ou Come See the Duck en passant par André Minvielle « Chansons la langue », Magma, ou Au fond du couloir à gauche… Les morceaux longs du contrebassiste Joachim Florent (« Papouille ») et du violoniste Clément Janinet (« The Void ») sont de véritable moments de bonheur musical en « liberté surveillée » par les envolées improvisées d’Hugues Mayot (saxophones et clarinettes), Mario Boisseau (violoncelle), Pierre-Antoine Badaroux (saxophone alto) et Fidel Fourneyron (trombone et tuba) qui pourtant respectent toujours la cohérence des idées. Certains passages rappellent par moments les paysages sonores traversés par le Grand Louzadzak de Claude Tchamitchian. On est comblé par une improvisation au violon amplifié de Clément Janinet (le prochain Dominique Pifarély ? En tout cas, à suivre de très près). « Sapiens Spielplates », écrit par le trompettiste Aymeric Avice évoque d’abord un hymne fluide mais énigmatique ; puis l’orchestre évolue vers un thème collectif très rock festif avant de laisser la place à un dialogue improvisé entre le guitariste Julien Desprez et Aymeric Avice, celui-ci n’hésitant pas à user d’un son très électrique. En guise de conclusion : une marche de plus en plus lente introduit un thème calme.

Radiation 10 met en valeur la capacité de chacun de ses membres à conquérir un public nouveau qui recherche dans le jazz des inspirations rock, des ballades pop et des rythmiques « vanderiennes » (apportées ici par Francesco Pastacaldi. Avis aux programmateurs qui voudraient proposer une grande formation de facture moins classique que les autres…