Entretien

François Corneloup

L’album « Next » est sorti en septembre 2008 et une longue tournée française est prévue en mars/avril. Ce nouvel horizon musical explore les possibilités de l’improvisation à partir d’une rythmique très groove venue des Etats-Unis…

L’album « Next » est sorti en septembre 2008 et une longue tournée française est prévue en mars/avril. Ce nouvel horizon musical explore les possibilités de l’improvisation à partir d’une rythmique très groove venue des Etats-Unis…

Le saxophoniste figurait parmi les volontaires pour soutenir le festival Jazz Campus en Clunisois l’été dernier. C’était l’occasion de dresser un bilan rapide de son parcours et d’évoquer sa nouvelle formation.

- Vous êtes venu au jazz en autodidacte, comme plusieurs musiciens de votre génération. A l’heure où beaucoup sortent du Conservatoire, cela vous paraît-il encore possible ?

Etre autodidacte est toujours et jamais possible à la fois. En ce qui me concerne, j’ai été mon propre professeur en cherchant une pédagogie et des méthodes personnelles. Je n’ai pas seulement appris de manière empirique. Pour obtenir ce dont je croyais avoir besoin quand j’ai commencé, je me suis imposé des exercices qui correspondaient à ces besoins. Evidemment, ces derniers ont changé avec les progrès réalisés, au fur et à mesure que la musique évoluait. La différence entre un autodidacte et celui qui apprend en suivant un parcourt plus académique, c’est l’autodétermination. Un autodidacte n’a personne pour lui dire si ses choix sont les bons. On peut aussi faire de mauvais choix en ayant un professeur qui n’emploie pas les bonnes méthodes. J’ai commencé assez tard le saxophone (à l’âge de dix-neuf ans) et j’avais déjà une certaine détermination structurelle par rapport à ce que j’avais envie de faire. Mes besoins ont rapidement changé, donc mes objectifs aussi. J’ai bâti ma propre pédagogie là-dessus. A l’époque, je n’étais pas tellement dans des questions de styles, mais plutôt de sensation personnelle par rapport. Il se trouve que l’improvisation correspondait assez bien à mon tempérament. Cela ne m’a pas empêché d’étudier par la suite des pièces pour me former techniquement, comme des études pour saxophone qui m’ont permis de poser des bases. L’école française du saxophone est encore ce qu’il y a de mieux pour apprendre cet instrument. Je croyais qu’en commençant tardivement, sans avoir les armes suffisantes pour aborder la musique d’interprétation, l’improvisation était la seule porte qui m’était ouverte pour pouvoir jouer avec d’autres. Je me suis rendu compte avec le temps qu’elle nécessitait du travail.

- Qu’avez-vous retenu de vos collaborations avec Bernard Lubat, Henri Texier, Louis Sclavis, Michel Portal ?

F. Corneloup © Michel Laborde/Vues sur Scènes

Louis Sclavis a été un catalyseur, pour m’avoir montré que des univers intéressants étaient possibles et accessibles à partir du moment où l’on commençait à travailler. Il met le travail en avant pour ce qui est de la maîtrise de l’instrument et tout ce qui en découle. J’ai retenu la leçon. Un peu plus tard, je me suis dit que j’en ferais bien ma vie. Il y a aussi eu Bernard Lubat, à qui je dois beaucoup car il a su me laisser une place à ses côtés alors que j’étais débutant. Il sait créer des espaces pour que les jeunes musiciens puissent développer leur propre discours. Je dois également beaucoup à Henri Texier qui a toujours été attentif à ce que je faisais. Je participe toujours à son « Strada Sextet ». Michel Portal a été très déterminant par la liberté et sa sincérité.

Ils sont un peu les piliers, les fondateurs de ce que peut être la musique improvisée en France depuis le début des années 80, même si Michel Portal participait déjà à des expériences dans les années 70. Ils sont, à mon sens, une sorte de relève. Lubat a poussé les murs en accueillant le free jazz. Portal l’a accompagné. Sclavis et Texier évoluent dans une forme beaucoup plus écrite, avec une musique productive au sens orchestral du terme. Ils ont montré qu’on pouvait construire, tenir et mener dans le temps des projets d’orchestre. Portal et Lubat ont aussi montré qu’on n’avait pas besoin d’être américain pour s’autoriser à improviser. Ils ont en quelque sorte surmonté le complexe d’Œdipe des musiciens français. Je dois beaucoup à ces grandes personnalités qui ont défini le cadre où pouvaient s’exprimer les jeunes musiciens de jazz de ma génération. A nous de transmettre notre propre ressenti.

- Dans vos projets en trio (Eric Echampard et Claude Tchamitchian puis Marc Ducret et Martin France avec ULM) ou en quartet (Eric Echampard, Marc Ducret, Yves Robert), quelles étaient vos intentions ? Peut-on dire que chaque projet représentait une orientation nouvelle, ou bien s’inscrivaient-ils dans la continuité en allant dans le sens de l’approfondissement ? En quoi le trio ULM était-il différent de vos projets précédents ?

Le trio avec Eric Echampard et Claude Tchamitchian est né d’une rencontre d’amitié. On avait la même conception de la musique et du plaisir de jouer avec une sensation très instinctive, en laissant parler l’énergie de façon naturelle. Dans mon deuxième quartet, je me suis davantage préoccupé de la forme, de la composition. J’ai essayé de donner plus de poésie, plus d’air, avec le tromboniste Yves Robert tout en menant un travail structurel et rythmique important avec le guitariste Marc Ducret. Pour le trio ULM je me suis concentré sur des orientations rythmiques beaucoup plus précises avec le batteur anglais Martin France, qui réalise un travail très fin et véloce, avec un découpage souple et très précis. Il est très agréable de travailler avec Marc Ducret car il défend de manière rigoureuse un univers et un langage très personnels, ce qui ne l’empêche pas de s’intéresser à ce que font les autres et d’envisager toujours son travail dans un esprit de coopération. Le terme Ultra Léger Musical ne désignait pas le contenu du disque mais la formule de cet orchestre à la structure légère, qui peut développer une certaine puissance de jeu. J’ai cherché avec ULM à montrer que l’énergie pouvait aussi être apportée par la dynamique et la précision et non pas seulement par la puissance et la force. Par ce projet, je percevais la musique davantage comme un signal. Je vois plus la succession de ces projets comme une continuité que comme une nouvelle orientation. ULM s’est arrêté car Marc était très pris par d’autres projets ; de plus, et il est maintenant installé au Danemark. Avec ce trio, je me suis aperçu que certaines choses me manquaient. J’étais trop loin de ce que j’avais envie de faire. Mais je ne désespère pas de retravailler un jour avec ces deux musiciens.

- Avec Next, vous semblez prendre un tournant. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos intentions concernant ce projet ?

« Next » me permet de revenir à des envies plus instinctives en laissant parler davantage ma sensibilité primaire. D’un point de vue formel, les compositions sont beaucoup plus simples que mes précédents projets, construits de manière moins conventionnelle : mesures composées, superpositions, équivalences… Je suis revenu à une forme d’écriture plus basique - pas plus de deux mouvements par morceau. Cette simplicité me permet de mieux partager la musique avec mes camarades en leur laissant plus de place pour improviser. Ça ne veut pas dire qu’avant je ne partageais pas. Il se trouve que les Américains avec qui je travaille ces aspects ont cette compétence, une approche intéressante, une souplesse de style. Avec Next, je réinterroge les sensations basiques de la danse, du groove et de la mélodie - avec lesquelles je me suis réconcilié au sein d’Ursus Minor. Ce groupe m’a ramené à l’idée que l’on pouvait créer des espaces d’improvisations très ouverts, autant que les terrains esthétiques où se développe la musique improvisée européenne. J’essaie d’en susciter les bases, et non de la diriger. C’est un travail de composition : il faut qu’elle constitue un tremplin narratif nourrissant pour rebondir et développer notre langage.

J’inscris “Next” dans le prolongement de mes disques antérieurs, même si cette formation peut paraître différente. Je reviens d’ailleurs au saxophone soprano, mon premier instrument, grâce lequel je me réattribue la fonction mélodique. Ça me permet aussi d’engager un dialogue combiné avec le violon de Dominique Pifarély. Il fallait être deux pour défendre la dimension mélodique de ce quintet et donner plus de puissance, de relief, à la voix car la rythmique est intense.

F. Corneloup © Patrick Audoux/Vues sur Scènes

Pour la première fois, je travaille avec un directeur artistique, (Jean Rochard), qui assiste à l’enregistrement. Il alimente le projet par son œil critique, exigeant et attentif, se positionne comme un miroir parfait à l’intérieur du studio, où les musiciens de jazz ne sont pas toujours à l’aise. Le disque a été conçu pour profiter de la dimension électrique du groupe, ce qui nous permet d’explorer les influences de la musique pop. Jean Rochard a fait un travail de post-production très important sur ce projet, notamment sur le mixage de l’acoustique. Il n’y a pas de grande différence entre le disque et ce qui est joué en concert. Je donne à la musique une forme un peu différente sur disque ; ça peut ne pas fonctionner sur scène. C’est souvent le cas dans l’improvisation ou dans le jazz.

- Ce quintet ouvre-t-il sur d’autres projets ? D’autres disques sur le label NATO ?

Pour le moment, je suis concentré sur Next, où existe une complémentarité formelle assez riche. J’ai quelques idées de musique totalement non-écrite. Je prépare une tournée française entre le 19 mars et le 19 avril 2009. Je n’en suis pas à ma première collaboration avec Nato puisque j’y ai déjà sorti trois disques avec Ursus Minor ; bien avant ça il y avait eu « Los Incontrolados ». Il y a donc continuité. J’espère que Next fera d’autres disques avec ce label ; pour le moment, je mûris celui-ci et je laisse les choses se générer d’elles-mêmes.

- Quels sont vos autres formations ?

Je joue en duo avec Isabelle Loubère. C’est une rencontre musicale que je pourrais qualifier d’« immédiate ». Isabelle travaille sur le « parlé noir », une des façons de parler le gascon - une langue très localisée qui se parle en Haute-Lande. Son principal représentant est l’écrivain Bernard Manciet. Isabelle bâtit tout son travail sur le poème « Compresseur », qu’elle utilise comme un réservoir ou une matière de base. Il ne s’agit pas d’une lecture linéaire accompagnée. Elle utilise le texte dans toute sa géométrie, selon ce qui se passe dans l’improvisation. Elle peut transformer une partie du texte par le travail de la voix. Cela se fait dans le cadre d’un partage sonore entre celle-ci et le baryton. Ce n’est ni un accompagnement, ni un commentaire musical. Elle dit les choses à sa manière, avec son instinct, sa technique et le ressenti personnel de cette langue qu’elle s’est rappropriée à la faculté. Elle ne milite pour aucune cause occitane ni pour aucune langue minoritaire ; elle ne fait qu’utiliser comme matériau la langue de sa grand-mère. Je poursuis par ailleurs mon travail en solo sur l’improvisation totale. Je travaille beaucoup la technique chez moi mais en concert, je laisse venir les phrases. Il s’agit surtout d’un mode de concentration. Je collabore aussi aux différents projets de Dominique Pifarély (duo, ensemble Dédales, spectacles Peur et Après la révolution). Ses formations sont toujours intéressantes car ses conceptions sont précises et la musique rigoureuse. Ce souci constant de la précision est porteur, pour l’improvisation. Je suis aussi dans le sextet d’Henri Texier. Je participe enfin au quartet « Les temps changent » d’Hélène Labarrière, dont les membres en sont à peu près au même stade de maturité. Il y a donc quelque chose qui opère naturellement, avec une très forte puissance inspiratrice. On apprécie beaucoup de jouer ensemble.

Propos recueillis le 21 août 2008.

par Armel Bloch // Publié le 2 mars 2009
P.-S. :

Discographie personnelle :

François Corneloup Quintet - NEXT - Hope street/Nato - 2008
François Corneloup Trio - U.L.M - In circum girum 2007
François Corneloup Quartet - Pidgin - Evidence 2006
François Corneloup Trio -Cadran lunaire - Evidence 2000
François Corneloup Trio - Jardins ouvriers - Evidence 1998
Duo Kassap / Corneloup - Deux - Evidence 1997
François Corneloup Quartet - Frégoli - Evidence 1994
Duo Kassap / Corneloup - Pointe noire - Evidence 1994

Participations :

Hélène Labarrière Quartet Les temps changent (Emouvence)
Contet/Chevillon/Corneloup Trio Nu (In Circum Girum)
Denis Fournier Belleville (EMP), MAE (La lichère)
Hervé Krief Big Band Live in Paris (BSM)
Eric Lareine Plaisir d’offrir joie de recevoir
Alambic Impérial Live at the petit vélo (EMB) « Sinai » (EMB)
Paris Musette vol. 2 Swing et Manouche (La Lichère)
Jacques Higelin Aux héros de la voltige
Gérard Marais Quartet Opéra Mister Cendron (Hopi)
Gérard Marais Quartet Opéra (Hopi)
Henri Texier Mad Nomad(s) (Label Bleu)
Henri Texier Strada sextet Vivre (Label Bleu)
Henri Texier Strada sextet Alerte à L’eau (Label Bleu)
Henri Texier Holy Lola Orchestra Bande originale du film de Bertrand Tavernier (Label Bleu)
Ursus Minor Zugswang (Nato)
Ursus Minor Nucular (Nato)
Ursus Minor Coup de sang (Nato)
Youval Micenmacher Fera Feza (Hopi)
Buenaventura Durruti N.Akchoté, Ph.Minton, M.Sanders (Nato)
François Raulin trio Trois plans sur la Comète (Hatology)

Liens :

Site de Maïté music
Myspace de François Corneloup
Myspace de Next
Site de Nato music