Chronique

Ron Carter & Danny Simmons

The Brown Beatnik Tomes, Live at The Bric House

Ron Carter (b), Danny Simmons (voc), divers

Label / Distribution : Blue Note

Quand Sir Ron Carter s’encanaille… pas trop tout de même !
Dans la captation de cette performance live en 2015 avec Danny Simmons, légende du spoken word afro-américain (par ailleurs romancier, plasticien et co-producteur de l’émission phare du hip-hop Def Jam Poetry), cette légende vivante se régale à enrober la voix de ce dernier avec le soyeux et le boisé de sa contrebasse… et avec un sérieux sens de l’humour et une belle énergie du haut de ses 78 ans (le concert date de 2015) !

Pourtant, le contrebassiste le plus enregistré de l’histoire (2200 sessions et des poussières selon le Guiness Book) avait une dent contre la Beat poetry : selon lui, Ginsberg et consorts avaient une vision trop romantique du jazz, pas assez « black ». Alors a-t-il trouvé dans cette session enregistrée à Brooklyn quelque occasion de revanche sociale, lui à qui l’orchestre symphonique de Boston avait refusé un poste car… noir ?! On l’imagine dans ce Bric House new-yorkais, nimbé par les projections des œuvres abstraites du poète, déroulant ces lignes de basse façon storytelling dont il a le secret.

Cela rappelle les propositions rap des Watts Prophets, cet ensemble revendicatif de la Côte Ouest de la fin des années soixante, dans lequel la contrebasse était un instrument politique à part entière. Et l’on se souvient également qu’il participa à l’aventure hip-hop des années quatre-vingt-dix aux côtés du collectif A Tribe Called Quest (« Verses From the Abstract » sur l’album « The Low End Theory », 1991). En France, il y eut bien quelque collaboration avec MC Solaar… Quand il assène un funk déconstruit dans l’accompagnement de la slammeuse Liza Jesse Peterson, qui pose des lyrics en hommage au mouvement Black Lives Matter, on sent dans son jeu de contrebasse toute sa rage de vivre.

Quelques interludes avec son pianiste Donald Vega et son guitariste Russel Malone parsèment le live, conférant un surcroît de dignité à l’ensemble en dépit d’une prise de son peu convaincante. On regrettera l’absence de livret avec les paroles : le débit de Simmons est tel que, si l’on comprend quelque référence à Amiri Bakara (alias Leroi Jones, activiste afro-américain que les francophones connaissent surtout pour son ouvrage fondamental « Le Peuple du Blues », manifeste de l’émancipation culturelle)… on aurait aimé en savoir plus !