Chronique

Carine Bonnefoy Music For Large Ensemble

Today is tomorrow

Carine Bonnefoy (p, arr, lead), André Charlier (dm, perc), Frédéric Favarel (g), Jean-Michel Charbonnel (b), Stéphane Guillaume (ts, ss, fl), Claude Egéa (tp)

Label / Distribution : Music Box Publishing

La pianiste Carine Bonnefoy sublime ses origines polynésiennes à la tête d’un big band de dix-sept musiciens. Avec une maestria tout ellingtonienne, elle joue de son orchestre, tire la substantifique moëlle des individus (fantastique Claude Egéa à la trompette) comme de l’ensemble, avec pour tout horizon les limbes du Pacifique. Pacifiée, cette « pensionnaire » de la Compagnie Nine Spirit (dirigée par Raphaël Imbert) l’est sans doute après avoir soutenu une thèse sur le jazz symphonique. Justement, ici, le jeu orchestral est symphonie jazz.

Sans tribalisme aucun (comme une forme de rupture avec « Tribal », sorti il y a dix ans ?), un exotisme onirique émane de cet album. Des traits d’orchestre délicieusement mélancoliques (« Towards the Full Moon » par exemple), parsemés de cordes frottées et de chœurs édéniques, parsèment l’œuvre. Au piano, la cheffe n’oublie jamais de swinguer, et prend plaisir à développer des questions/réponses avec ses compères, tel ce dialogue avec la guitariste Frédéric Favarel sur « Mission Tempête ». On embarque volontiers pour naviguer au long cours dès ce « Luff Up in Time », qui a tout d’un hymne, avec des cuivres en joie (Stéphane Guillaume prend un solo de sax ténor comme un marin se régale à lofer) et une rythmique qui fend l’écume océane. Le batteur, André Charlier, est justement l’autre architecte (naval pourrait-on dire) du projet : malaxant peaux et cymbales, son jeu est si nuancé qu’il fait ressentir des vagues d’émotion, magnifie les solos et ramène l’équipage à bon port après l’avoir conduit au cœur de bourrasques de jazz.

Carine Bonnefoy a d’ailleurs conçu cet album d’abord avec lui, et l’on comprend pourquoi : la moindre de ses impulsions est comme une vague sensuelle, caressant l’orchestre. N’empêche, la meneuse d’hommes n’en reste pas moins celle qui tient le gouvernail jusqu’au bout de la traversée musicale, ouvrant l’horizon vers des ailleurs musicaux dont elle-même ne soupçonne pas l’existence (sublime swing impressionniste au piano sur « Waiting for an Answer », thème de clôture). Et si « aujourd’hui c’est déjà demain », on ne peut que se languir de l’avenir que nous propose cette Grande Dame du Jazz.

par Laurent Dussutour // Publié le 10 mai 2020
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