Chronique

Billy Cobham/Kenny Barron/Ron Carter

Art of Three

Kenny Barron (p), Ron Carter (b), Billy Cobham (d).

Label / Distribution : In & Out Records

A cinq ans d’intervalle en ce qui concerne l’enregistrement, sinon la sortie, ce CD magistral fait une belle paire avec le « Live at Bradley’s » de Barron. Le trio de 1996, sorti en 2001, présentait le pianiste avec ses compagnons habituels, Ray Drummond à la contrebasse et Ben Riley à la batterie, dans l’intimité d’un club new-yorkais fermé depuis - c’était une soirée parmi d’autres de swing et d’invention, c’est-à-dire, pour ces trois-là, l’aise, la grâce, une certaine perfection. Né apparamment de la volonté de Billy Cobham de soigner sa
carrière en rétablissant des liens avec le « vrai jazz » avec les stars que
sont Barron et Carter, « Art of Three » était enregistré début 2001 en concert pendant une tournée européenne, en l’occurrence en Norvège et au Danemark.

Cette différence de contexte fait toute la différence entre les deux
disques. Chez Bradley’s, pas d’esbrouffe, pas de pression, seulement la magie du swing improvisé, la chaleur de l’amitié et des habitudes qui, pour être vieilles, servent toujours efficacement l’inspiration. Pour « Art of Three, » au contraire, c’est l’occasion spéciale, où chacun est attendu justement comme une star sur scène. Une certaine fierté, une tension délicieuse sous les feux de la rampe.

Et ils s’en acquittent avec maestria. Barron, d’abord, un maître en pleine possession de tous ses moyens, joue avec verve et concentration. Ron Carter, qui ne participe plus vraiment aux modes depuis un bon moment, nous rappelle par ce fabuleux son et ce phrasé qui n’est qu’à lui pourquoi sa réputation est grande - sans effet de virtuosité, il s’impose, définissant le discours du trio à importance égale avec les deux autres. Et Billy Cobham, loin de
la lourde muscularité de la fusion, assure un swing assez personnel, discret, intelligent, il est à l’écoute et réagit en un quart de tour, tout
en ayant quelque chose d’un peu plus centré sur le temps que, par exemple, un batteur comme Riley qui ne quitte jamais les contrées du bebop. Cela se sent surtout dans ses solos, seul moments où il apparaît un tant soit peu raide dans le contexte. Mais même cela, on peut l’entendre comme faisant partie d’un style cohérent, de lui. « Art of Three » est finalement un nom parfait pour ce CD où trois individus forts, fiers et surtout extrèmement talentueux se rassemblent pour jouer une musique collective de très haut niveau.