Chronique

Samy Thiébault Quartet

A Feast Of Friends

Samy Thiébault (ts, fl, darbouka, comp, arr), Adrien Chicot (p, Rhodes), Sylvain Romano (b), Philippe Soirat (dms) + Nathan Wilcocks (voc).

Label / Distribution : Gaya Music / Socadisc

Le jazz continue de s’abreuver aux sources de toutes les musiques, et trouve notamment dans l’histoire du rock de quoi nourrir son inspiration. C’est ainsi qu’il vit, vibre et évolue par-delà les années et n’en finit pas de se revivifier. On annonce sa mort à intervalles réguliers et pourtant, il est là, bien vivant. On ne sera donc pas surpris qu’un musicien tel que le saxophoniste Samy Thiébault, amoureux de poésie, de littérature et de philosophie, ait succombé un jour au fort pouvoir d’attraction du groupe The Doors et de son leader charismatique, le chanteur et poète Jim Morrison. Une surprise d’autant moins grande que les membres des Doors se considéraient eux-mêmes comme « le premier groupe de rock influencé par le jazz » et que leur batteur, John Densmore, voulait apporter au groupe la sensibilité du jazz qu’il avait observée « en regardant Elvin Jones jouer avec John Coltrane ».

A Feast Of Friends porte bien son nom : pas seulement parce que c’est celui d’un poème de Morrison [1], mais parce qu’il définit l’esprit dans lequel le saxophoniste a voulu rendre hommage à un groupe entré de son vivant dans la légende, et qui avait ouvert sa propre sensibilité artistique et musicale. Il s’agit pour Samy Thiébault et ses trois complices de célébrer par une fête entre amis – ce qu’ils sont, à n’en pas douter – « une musique qui peut transformer celui qui l’écoute ». Trois musiciens dont l’union des énergies fait ici merveille et déploie un vrai son de groupe : Adrien Chicot (piano), Sylvain Romano (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie), et au bout du compte un quatuor qui distille avec gourmandise un groove où l’on peut percevoir, ça et là, l’influence nette de la dynamique d’élévation coltranienne (« The Soft Parade », « Hara » ou mieux encore le très introspectif « Tribal Dance »). Assez paradoxalement, et ce malgré l’exposition de thèmes parmi les plus célèbres des Doors (« Riders On The Storm », « Light My Fire », « People Are Strange » ou « The Soft Parade ») mêlés à des compositions originales, au milieu desquelles sont insérés des poèmes de Jim Morrison lus par Nathan Wilcocks, on finit par oublier le modèle pour se laisser gagner par l’euphorie. En d’autres termes, nul besoin d’être un exégète de la poésie morrisonienne ni même de connaître le répertoire du groupe sur le bout des doigts pour goûter à A Feast Of Friends. Car c’est avant tout le quartet de Samy Thiébault qu’on entend. Certes, le saxophoniste, volubile et chaleureux, prend appui sur des temps forts de l’histoire des Doors, mais c’est pour mieux raconter la sienne en exprimant ses propres perceptions et en projetant des couleurs chatoyantes qui parfois suggèrent des voyages : une brève « Invocation » en duo avec Philippe Soirat évoque ainsi les premières notes du thème de « Riders On The Storm » sous une influence qui serait celle du Maghreb.

Cette fête, qui est celle d’un quartet solidaire, est aussi la nôtre, sans esbroufe et surtout habitée par la sincérité des émotions. Ce jazz-là est une maladie contagieuse à laquelle il est bon de s’abandonner.

par Denis Desassis // Publié le 13 avril 2015

[1Mis en musique en 1978 par les trois musiciens des Doors, Ray Manzarek, Robbie Krieger et John Densmore dans un album hommage intitulé An American Prayer.