Chronique

Sbatax

Spires

Bertrand Denzler (bs), Antonin Gerbal (dms)

Label / Distribution : Umlaut Records

Activistes de la scène expérimentale pour le dire vite, ou plutôt penseurs en actes d’une musique en recherche, le batteur Antonin Gerbal et le saxophoniste Bertrand Denzler se retrouvent dans le duo Sbatax. Membre entier pour le premier ou artiste associé pour le second du label Umlaut, leur pratique, ici comme dans d’autres formations auxquelles ils participent, se résume pleinement dans la définition que se donne le label. À savoir « la notion de transformation du son par des artistes animé.es. par l’envie de défendre ensemble les musiques créatives d’aujourd’hui, mettant en jeu l’improvisation, les nouvelles formes d’écriture et la rencontre de différents idiomes musicaux. »

Nous voici donc, pour ce qui concerne ce duo, devant une proposition qui semble avoir pour but de mettre à mal un des fondamentaux du déroulement traditionnel des musiques bruyantes. Celui qui mène un état premier à un paroxysme avant de se résoudre dans un état conclusif. Ici, de fait, tout est paroxysme. De la première à la dernière note, rien n’est dans l’apaisement, encore moins dans une forme d’évolution transitoire.

En cela, ce duo est déjà notable puisque le geste qui garantit l’exécution de cette feuille de route implique un investissement plein qui s’apparente à une pratique sportive de haut niveau de la part des musiciens, tout en posant, par ailleurs, la question des moyens. Comment développer une scénarisation musicale sans aucun début, pas de milieu et à peine une fin, sur deux pistes qui dépassent chacune les vingt minutes ?

L’alliage du saxophone ténor - choix judicieux pour son implacable puissance - et d’une batterie à l’omniprésente caisse claire, donne à entendre une force tellurique qui sature l’oreille dans un halo bruitiste où l’on distingue des signaux sonores aux caractéristiques indéniablement proches et pourtant en variations constantes. L’intérêt pour l’auditeur tient alors dans l’appréhension de cette matière mobile, mélange de métal, de peau, de souffle dans laquelle on découvre les potentialités insoupçonnées que cette expérience-limite génère et qui bouscule autant qu’on la contemple.

Par ailleurs, les stratégies pour hausser le niveau d’intensité que chacun utilise en développant des contre-propositions ou des soutiens aux propositions de l’autre, tour à tour adversaire ou partenaire, finissent par inventer des rythmiques subliminales que plusieurs écoutes successives permettent de capter différemment. 

Cette musique, pleine de sa propre énergie, conduit à un silence qui déchire l’espace dans un prolongement justifiant ce qui vient de se passer ; elle contient surtout, dans son caractère même, un indéniable pouvoir énergisant.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 9 juillet 2023
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