Chronique

Setna

Guérison

Label / Distribution : Soleil Zeuhl

Les premiers accords de piano de Guérison, deuxième disque en trois grands mouvements du groupe rouennais Setna après Cycle I (2008), évoquent Magma, cela ne fait aucun doute. Leur scansion très zeuhl rappelle que Nicolas Candé et ses compagnons savent d’où ils viennent, et qu’ils se sont nourris à la source de « Mëkanïk Kömmandoh » plus que la moyenne de leurs pairs. Même lien de parenté assumée pour la basse de Christophe Blondel qui gronde, terrienne, cousine rapprochée de ses aînées, celles dont Jannick Top et Bernard Paganotti tenaient le manche aux temps lointains où la bande à Vander était à son zénith. La voix de Yannick Duchene - nouveau venu et par ailleurs chanteur du groupe Neom - laisse filer des paroles-vocalises présentant de lointains airs de famille avec le chant organique des migrants de la planète Kobaïa, même si sa tessiture androgyne les en éloigne de façon nette. Duchene n’oublie pas non plus de rendre un hommage discret à ce que fut l’expérience coltranienne du groupe Offering (sur « Guérison », par exemple, où l’on n’est pas si loin de « Tilim M’Dohm »). On entend chez lui des mots chantés en français : le soleil, la vie… Voilà un indice majeur sur la spécificité de Setna et sa dimension solaire, qui se confirmeront de minute en minute, marquant ainsi son détachement de la matrice et le besoin de couper le cordon ombilical. Héritage, oui, tutelle, non !

Le « Cycle II » introductif - il est en cela la suite naturelle du premier album - réservera d’autres clins d’œil appuyés : en effet, son deuxième mouvement regarde avec insistance du côté de l’École de Canterbury, aussi bien le Soft Machine des premiers temps que le Caravan de « Nine Feet Underground », quand ce groupe visitait un pays tout de gris et de rose [1]. L’exposition est claire, il ne reste plus qu’à embarquer pour un beau périple.

Vient alors une longue suite, « Triptyque », qui sonne comme une rupture esthétique, une sorte d’éblouissement sonore dont le premier appel ressemble à une quête de la lumière : on pense aux inspirations mystiques de Pharoah Sanders et aux illuminations de Carlos Santana, à l’époque de Caravanserai, Welcome ou Borboletta. Une guitare acoustique égrène quelques arpèges, voilà qui est inédit chez Setna. On est passé dans un autre monde : un peu comme si, après un long voyage, les musiciens avaient abordé d’autres rivages, plus irisés, pour ne pas dire plus sereins et contemplatifs. La pulsion de la rythmique est très efficace (n’oublions pas que Nicolas Candé est un magnifique batteur, il le prouve ici du début à la fin) et le duo basse-batterie allie puissance et légèreté, soulevé par les élans que suggère la musique. Un peu plus tard, l’héritage zeuhl fera à nouveau l’objet de quelques citations (le chant à la fin de « Triptyque Part II » laisse entendre des échos lointains de « Zombies » et l’ouverture de « Guérison » évoque le cérémonial percussif de « Köhntarkösz »), jamais envahissantes ni pesantes, toutefois. Le troisième mouvement de la suite cède la place à une atmosphère plus éthérée, où l’apaisement est au rendez-vous, sur fond de claviers entêtants (impeccables Benoît Bugéïa et Florent Gac), souligné par la clarinette basse de Julien Molko et la lapsteel très planante de Tony Quedeville. Il y a quelque chose d’hypnotique dans cette musique, qui instaure un climat singulier : Setna s’accomplit et invite ceux qui le souhaitent au partage d’instants privilégiés.

« Guérison », troisième partie du disque, amplifie cette sensation d’apaisement, d’épanouissement et d’élévation. Toutes les influences brassées s’expriment dans un langage qui devient vraiment celui du groupe. Setna trouve sa voie, lumineuse et chargée d’une intensité spirituelle avec laquelle on vibre, parce qu’aucune noirceur ne vient assombrir le paysage.

Récemment, Nicolas Candé évoquait le chemin que le groupe a voulu prendre pour ce nouvel album : contribuer à « une sorte de guérison de la sclérose humaine dont nous avons à souper chaque jour durant et dont nous faisons partie - ne pas oublier ce détail. Alors, voilà un disque qui traite de ce sujet et qui suscitera peut-être quelques interrogations constructives chez certaines personnes ». Le pari est ambitieux, il n’est pas interdit de penser qu’il faudra d’autres disques comme celui-ci pour avancer encore plus loin, tout doucement. Mais la proposition est là, et chez Setna, on veut croire que la solution est en chacun de nous, dans le respect de l’autre.

Parmi les nombreux invités qui, venus participer à la fête de Guérison, contribuent pour beaucoup à la coloration du disque, difficile de ne pas souligner le travail d’enluminure de Nicolas Wurtz à la guitare électrique et celui, toujours aussi époustouflant, du grand Benoît Widemann au minimoog. Ce dernier – membre de Magma au milieu des années 70 – vient enchanter la musique (cf la deuxième partie de « Triptyque », ou le second mouvement de « Guérison ») et participe à son envol vers de hautes sphères où l’air est bien agréable à respirer. On comprend qu’on a affaire à un rock progressif de grande facture, qui tire de ce style la nécessité de s’exprimer sur la distance, en une suite complexe et richement pourvue en climats - parfois symphoniques -, mais sans tomber dans le piège : l’excès de démonstration qui a pu en conduire certains héros à l’impasse à force de surenchère technologique et virtuose et de course aux égos surdimensionnés. Ici, le cap est maintenu, le groove omniprésent, la pulsion sous-jacente, vitale. Il y a quelque chose d’essentiel dans ce mouvement vers l’avant et cette poussée ascensionnelle.

Guérison, solaire et généreux, est publié comme son prédécesseur sur le vaillant label Soleil Zeuhl d’Alain Lebon. Le voyage est recommandé et la médecine douce de Setna efficace.

par Denis Desassis // Publié le 19 août 2013
P.-S. :

Nicolas Candé (dms, g, kb), Christophe Blondel :(elb), Benoît Bugeïa (Rhodes, p), Yannick Duchene (voc), Florent Gac (org) + Nicolas Wurtz (g), David Fourdrinoy (vib), Julien Molko (clb), Benoît Widemann (minimoog), Tony Quedeville (lapsteel), Nicolas Goulay (kb), Samuel Philippot (g).

[1In The Land Of Gray And Pink, troisième album de Caravan, publié en 1971.