Chronique

Lockwood, Top, Vander, Widemann

Fusion

Didier Lockwood (vln), Jannick Top (elb), Christian Vander (dms), Benoît Widemann (kb).

Label / Distribution : JMS

Disparu brutalement le 11 février 2018, Didier Lockwood fait l’objet d’un hommage mérité avec la réédition de plusieurs de ses enregistrements pour le compte du label JMS-Cream Records. L’occasion de rappeler ici que dès lors qu’il avait été propulsé sur le devant de la scène au sein de Magma (c’était en 1975), Lockwood, pris sous l’aile de son mentor Christian Vander, avait imposé une virtuosité jamais prise en défaut de froideur. L’homme tout comme le musicien était chaleureux, traversé d’une énergie peu commune, et n’aura eu de cesse de porter la « bonne parole du jazz » jusqu’au dernier soir, aussi bien en direction d’un public multiple qu’à l’attention des jeunes musiciens avec le Centre des Musiques Didier Lockwood.

Ces rééditions mettent en avant deux épisodes des aventures du violoniste aux États-Unis, avec Out Of The Blue (1985) et un compagnonnage de haut vol puisqu’on trouvait à ses côtés Gordon Beck, Cecil McBee et Billy Hart. Dix ans plus tard, ce sera New York Rendez-Vous, également réédité, et une fois encore une belle équipe sur le pont : Dave Holland, Peter Erskine et Mike Stern. Deux moments bien distincts et pour le premier, une affiliation directe à l’école du jazz-rock, tandis que le second s’inscrit dans un cadre plus classiquement jazz. Mais l’un comme l’autre déploient la même énergie et un attachement profond à la mélodie.

Une autre bonne nouvelle tient au fait qu’un autre disque, enregistré en 1981 celui-là, est remis en lumière, et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de Fusion. Soit une association clairement estampillée jazz-rock, dans le sillage d’une formation telle que le Lifetime de Tony Williams et en cela héritière de la quête électrique du Miles Davis des années 70. Mais ce qui doit retenir l’attention réside dans la composition d’un quartet où l’on retrouve Christian Vander à la batterie, Jannick Top à la basse et Benoît Widemann aux claviers. Voilà bien un enfant naturel – et très légitime ! – de Magma. Tiédeur proscrite, plans virtuoses exclus, pas le genre de la maison. Ici, c’est une musique habitée, presque de combat, qui se joue. Il faut dire que la paire rythmique est l’une des plus fascinantes qui soient, c’est la puissance sans équivalent de l’époque Mëkanïk Destruktïw Kommandöh ou Köhntarkösz qui est en action. Cherchez bien, vous aurez du mal à trouver mieux… Avec une telle propulsion, les jeux aériens de Lockwood et Widemann (n’oublions pas que ce dernier est l’un des plus éminents spécialistes du mini Moog) peuvent compter sur les forces conjuguées de ces deux partenaires rêvés pour prendre leur envol. Ici, il y a de la place pour un « tube » en puissance comme cet « Overdrive » introduit par la vrombissement d’une Ferrari, tout autant que pour de longues explorations (« GHK Go To Miles ») où chacun des protagonistes, sans tirer la couverture à soi, fait montre de son engagement au service d’une musique sans concession, ouverte aux improvisations.

L’existence du quartet sera malheureusement de courte durée, maintenue toutefois par quelques reformations ponctuelles jusqu’en 2013. Mais ce disque, peu sujet au vieillissement et d’une force préservée, ne fait qu’aviver les regrets. On imagine volontiers qu’un tel quatuor serait devenu l’une des formations majeures de l’histoire du jazz en France… et au-delà.

par Denis Desassis // Publié le 12 janvier 2020
P.-S. :

Fusion au Théâtre du Châtelet, le 14 novembre 2013