Portrait

Simon Teboul, la contrebasse le démange

Portrait du contrebassiste Simon Teboul


Simon Teboul © Alain Marsaud

Il est souvent sous les radars. Pourtant depuis de nombreuses années, le contrebassiste est présent dans une multitude de registres qui ont, au fil des ans, façonné son identité de musicien.

Tout a commencé à Lyon au début des années 1970. Simon Teboul a dix ans quand déboule à la maison un de ses oncles, tromboniste dans un orchestre de bal, avec dans ses bras une guitare chinée aux puces. L’oncle montre trois accords au petit Teboul et s’en va. Deux ans suivent et Simon tombe par hasard à la télé sur un concert de Joe Pass en solo à Montreux. Second déclic qui le mènera vers la guitare dans un premier temps, puis vers le jazz. « Je m’en souviens très bien. Mes parents étaient sortis, j’étais tout seul et j’ai pris une grosse gifle. Je ne connaissais pas les mélodies jouées mais j’ai reconnu « You are the Sunshine of my Life », un tube qu’à l’époque chantaient notamment Sacha Distel et Brigitte Bardot ». Evénement déclencheur donc. Mais la période, l’adolescence et peut-être l’instrument l’envoient illico ferrailler dans le rock au gré de différents groupes de musiciens en herbe.

En 1978, la famille quitte Lyon et s’installe à Paris. C’en est fini du rock. Il arrête la musique durant deux ans puis se remet à jouer dans un groupe de bal, toujours à la guitare et quelquefois à la basse. Une belle école, soit dit en passant. « Gamin, je jouais à la feuille avec mes oncles musiciens. C’était donc cohérent pour moi de jouer des airs populaires dans un répertoire qui va du musette à la pop, et puis je crois que pour accéder à la musique savante il ne faut pas faire l’impasse sur la musique populaire. Dans le bal, les heures passées sur scène t’apprennent toujours quelque chose. » Ce ne sera qu’un intermède. En 1984, un copain de l’Ecole Normale lui offre une double cassette de Wes Montgomery et un exemplaire du Real Book. Parallèlement, Simon rencontre le guitariste Serge Gruszow, enseignant au conservatoire d’Arcueil, qui deviendra son professeur et le fera entrer dans un réseau de jazzmen parisiens. Les rencontres se multiplient alors et deviennent autant d’occasions de jouer et de peaufiner son identité et son parcours musicaux. Parmi les centaines de musiciens rencontrés, certains compteront plus que d’autres. Le contrebassiste portugais Carlos Barretto, la famille de Kenny Clarke, Jimmy et Sean Gourley. Des noms qui, pour certains d’entre eux, restent dans son escarcelle amicale, au-delà du partage de sons et de scènes.

Simon Teboul © Alain Marsaud

Et puis en 1990, Simon Teboul vend sa guitare et achète une contrebasse. Un tournant majeur qui interroge évidemment. « J’avais déjà fait des expériences à la basse et j’étais attiré par sa place dans le groupe. Tenir la baraque, le rôle dans l’ombre, le lien très fort entre rythmique et harmonie, tout ça me parlait depuis longtemps ». Là aussi, les rencontres se multiplient encore et encore, d’autant plus qu’à la même période, et grâce à Serge Krief puis Moreno, Boulou Ferré et d’autres, il verse dans le manouche et, comme si ces différentes cordes ne suffisaient pas, il s’investit dans la musique brésilienne. Une nouvelle fois, ce seront des réseaux qui vont se développer et qui ne sont pas sans incidence aujourd’hui. D’ailleurs, les liens avec Claudio « Cacau » De Queiroz restent forts au point que le saxophoniste et flûtiste brésilien émarge en featuring sur certains projets de Simon Teboul. Mais ces escapades dans différents registres alimentent surtout son sens de la mélodie. « Dans le jazz, quand tu travailles une harmonie, une mélodie, tu la ramènes d’abord à sa plus simple expression pour la reconstruire ensuite. Le manouche m’a apporté ça en plus d’un travail sur l’oreille et la mémoire. Et puis on jouait tout le temps, des heures et des heures ».

A la fin des années 1990, dans son appartement à Argenteuil, Simon monte un studio. Il y enregistre ses projets mais aussi ceux des musiciens qui font appel à lui. Un second travail en somme, qu’il n’arrêtera pas puisque lorsqu’il déménage, d’abord à Conflans-Sainte-Honorine et très récemment dans la Creuse – une bouffée d’oxygène qu’il a adoptée à mi-temps puisqu’il se partage aujourd’hui entre Paris et la campagne – il amène avec lui tout son barda. Reste qu’Argenteuil et Conflans sont dans cette Île-de-France pourvoyeuse de milliers de projets et autant sinon plus de musiciens. « En Creuse, j’envisage d’organiser des résidences et des stages et puis, il y a actuellement beaucoup de musiciens qui quittent Paris et la banlieue pour la campagne ».

Aujourd’hui, Simon collabore au Petit Orchestre de Poche, de son petit nom POP, un bal de caractère qui a vocation à faire danser – « j’apprécie la démarche de reconnexion avec la danse car c’est pour moi la raison d’être de la musique à l’origine ». Il travaille également sur son projet « 1970 » autour de tubes de la chanson française de l’époque qu’il a choisis et arrangés en jazz. « Dans les années 70 ma sœur écoutait en boucle dans sa chambre les tubes de Clo-Clo, Mike Brant, France Gall et d’autres. Ça me faisait enrager à l’époque. J’ai longtemps gardé cette musique en moi comme on garde un passé honteux et je l’ai finalement transcendée en la mêlant aux musiques latines et jazz ».

Mais surtout, de la chanson américaine à la musique brésilienne, du manouche au bal, il y a cette idée qu’on n’est pas jazzman si l’on tourne le dos à l’histoire de la musique. Le jazz a une histoire et la démarche y est ancrée. Pour Simon, lorsqu’on est musicien de jazz, on prolonge toujours quelque chose. On part d’un point et on l’emmène ailleurs. Et d’évoquer Miles Davis : « Miles n’est jamais revenu sur le passé, il ne jouait jamais deux fois la même chose mais sa musique s’est toujours inscrite dans la continuité du jazz, c’est-à-dire une musique dont les racines sont quelque part en Afrique ».