Scènes

So-Called à la Bellevilloise

De l’art de faire bouger les foules indifférentes… So-Called : un succès paradoxal et fragile. (27 novembre 2011)


Dans un sous-sol aux murs et colonnes de béton nu, parfois recouverts d’épaisses couches de peinture industrielle ou bien, çà et là, d’affiches déchirées, une petite centaine de « vingtenaires » pas fâchés avec le sweat à capuche attendent de se dépenser sur les rythmes d’un artiste dont le premier album s’ouvrait sur un sample de Sardou. Oui, Sardou, Michel Sardou.

Mais ne les trouveront pervers que ceux qui ne connaissent pas le facétieux utilisateur de samples attendu par la (petite) foule.

Ce jeune Canadien s’est fait un nom (So-Called, donc) et un début de carrière il y a une poignée d’années en jouant des platines, des claviers et des machines derrière un David Krakauer tout ragaillardi par cette nouvelle fréquentation. Ayant vu ce dernier sur scène un mois plus tôt salle Pleyel, je peux dire qu’il est encore nettement sous l’influence que So-Called lui a en partie, imprimée. Et comme ce soir-là, ce fut un perpétuel tiraillement entre deux directions sinon opposées, du moins divergentes. Sauf qu’ ici, il fut moins question de lutte que d’équilibre, de dosage.

Quand il arrive sur scène, plus Tryphon Tournesol que jamais, So-Called a les frisettes en batailles et l’allure, sans doute étudiée, d’un savant fou à deux doigts de faire disparaitre son laboratoire dans un grand fracas enfumé d’éprouvettes.
Parmi ses aides laborantins, on remarque deux clarinettistes dont un également pourvu d’un instrument exotique ; une choriste qui, on le verra, prendra parfois beaucoup de place ; et l’absence de batterie, So-Called ne laissant à personne d’autre que lui (et ses machines) le soin de veiller sur les pas de danse de la salle.
Et les débats s’entament avec ce qui fait la signature de l’artiste : un extrait de vieux klezmer swing, sans doute enregistré sur un 78-tours, rapidement suivi par une rythmique hip-hop venue du début des années 80 ; autant dire la préhistoire pour ce genre de musique.

D’une greffe arbitraire, So-Called a fait une identité très originale en même temps qu’une sacrément bonne industrie de pousse-à-la-danse.
Il faut dire qu’il se démène, parle régulièrement – et en français – à la salle, blague, complimente musiciens et organisateurs, encourage le public, invite aux débordements alcooliques – « n’oubliez pas d’acheter de l’alcool ! » –, propose à un spectateur de monter sur scène pour faire la preuve des ses talents de rappeur… Il partage même son arrière cuisine en tentant une composition en direct à l’aide d’un échantillonnage réalisé Gare du Nord quelques heures plus tôt.
Le tout dans l’indifférence, ou presque.

Pourtant, le public n’est pas éteint. Pour ce qui est des cris de joie, sauts et autres mouvement de guinche, il y a du répondant. Et comment. Mais curieusement, peu ou pas de réactions à l’entertainer qui tente le contact, et les nombreux téléphones levés – en lieu et place des briquets d’il y a vingt ans – sont plus tournés vers les danseurs que vers la scène.
Une petite déception.
Ce ne sera pas la seule.

Voir So-Called sur scène, c’est constater que chez lui, tout repose vraiment sur un équilibre précaire entre deux pôles : la musique juive et le hip-hop. Que l’un des deux prenne trop de place - ou, soyons honnêtes, que le hip-hop l’emporte -, et la gaie magie communicative se grippe.

Les extraits, octogénaires pour la plupart, de disques célébrant la Pâque juive, de théâtre yiddish, ou musique des cantors ne sont pas là pour la décoration mais constituent le squelette des compositions.
C’est souvent par Katie Moore, la choriste, que le danger survient. So-Called a beau vanter sa « voix dorée », une banalité un peu lourde s’installe dans l’espace musical lorsqu’elle se prend pour une diva soul. Fort heureusement ces mauvaises pentes resteront minoritaires. De brefs ventres mous qu’un sample bien senti, un flow justement placé amincissent aussitôt. L’ensemble retombe alors sur ses pieds gracieux.

La grâce, justement, c’est ici un duo de guitares aux sonorités scofieldiennes, sur le troisième morceau ; le jeu de claviers, liquide et souple, pièce importante de la mécanique dansante ; des balancements de Danube qui percent le binaire hip-hop de rigueur ; un « Ukrainian Traditional » lyrique et enlevé comme une ivresse slave ou encore, en ultime rappel, une poignante berceuse yiddish qui pousse à tous les pardons.