Chronique

Ullén / Bergman / Lund

Space

Lisa Ullén (p), Elsa Bergman (b), Anna Lund (dms)

Label / Distribution : Relative Pitch

Avec Space, proposé par le label Relative Pitch, on a l’occasion de se remémorer quelques noms de la scène européenne notés il y a deux ans grâce à la sortie remarquée d’un album du Anna Högberg Attack. La saxophoniste suédoise, habituée du Pan-Scan Ensemble nous avait proposé un sextet de combat avec la fine fleur de la scène scandinave. Voici, avec la pianiste Lisa Ullén, un avatar de cet orchestre : en compagnie d’Elsa Bergman à la contrebasse et Anna Lund à la batterie, c’est la moitié de l’orchestre, sa base rythmique soudée qui se présente ici. Avec un morceau comme « Circle of Security », on en comprend la puissance. Non que le trio cherche la surenchère : les choses s’ordonnent avec calme, presque dans la douceur, mais le flux est inexorable. La pianiste joue avec un ostinato comme on tire sur une maille : le jeu très fin de Lund qui s’attache beaucoup à ses cymbales, comme pour ne recourir aux tambours que lorsque la vague devient trop forte.

Comme on peut s’en douter, cette vague vient du piano. Dès qu’Ullén plonge dans les basses, la main gauche révèle une force d’airain dont la puissance est décuplée par tout le travail de la contrebasse. Un schéma qu’on retrouve plus loin sur « Tempest » où le calme, voire l’immobilité semble régner, si ce n’est l’incroyable travail souterrain de Bergman à l’archet qui réveille une dynamique d’équilibriste des plus élégantes. La contrebassiste est, sans avoir l’air d’y toucher, la principale architecte de ce trio pourtant très égalitaire. Dans cette musique sensible, dont le climat parfois aride offre à un biotope sauvage l’occasion de se propager, elle est un liant parfois invisible et pourtant indispensable. On s’intéressera de près à cette musicienne, dont le récent solo A laisse découvrir un univers passionnant.

Inscrit dans une certaine tradition des musiques improvisées européennes, de celles qui cherchent au fond des choses et visitent l’infiniment petit, à l’instar de « Come Together » qui ouvre Space avec force détails, le trio nous démontre toute la vigueur de la scène suédoise. Lorsqu’Ullén lance quelques frappes sporadiques qu’elle abandonne au silence, c’est forte d’un travail de fond de Bergman et Lund, qui donne davantage que du relief et de l’épaisseur : basse et batterie agissent comme le plus sombre des fusains pour texturer le propos de la pianiste qui joue comme on danse au bord d’un précipice. Plus abstraite que le sextet d’Hogberg, sa moitié rythmique montre qu’elle n’avait pas l’intention de rester dans la demi-mesure. Space est un disque court et puissant qui ne peut laisser indifférent.

par Franpi Barriaux // Publié le 25 septembre 2022
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