Chronique

Stéphan Oliva

Ghosts of Bernard Herrmann

Label / Distribution : Illusions

On peut faire confiance au pianiste Stephan Oliva pour se lancer dans des projets passionnants autant qu’exigeants. Quand il ne rend pas hommage à Bill Evans et Lennie Tristano (Sketch/Minium) ou plus récemment à Giacinto Scelsi (Illusions), ou aux pianistes de « stride » [1], quand il ne compose pas sa propre musique, le cinéma le passionne.

Qu’il ait été inspiré par la musique de Bernard Herrmann n’a rien de surprenant : il s’était déjà essayé au monumental Vertigo dans « Jazz n’motion », il y a dix ans. Encouragé vivement par le soutien amical des producteurs Philippe Ghielmetti, cinéphile convaincu, de Stéphane Oskeritzian (Bleu sur Seine) et de Gérard de Haro (Studio La Buissonne), le pianiste a choisi douze films dont ils aimaient particulièrement la musique, ménageant quelques surprises rares, comme les thèmes de films de S.F Journey to the Center of the Earth et The Day the Earth Stood Still. Car Bernard Herrmann, non seulement a « accompagné », doublé, la plupart des films d’Hitchcock, mais Orson Welles (Citizen Kane), ou encore François Truffaut (Fahrenheit 451) ont fait appel à lui, dont la musique participait activement au processus créatif, soulignant les tensions de l’intrigue, s’intègrant parfaitement au langage du cinéma.

Si l’analyse de l’écriture musicale cinématographique d’Herrmann n’a plus guère de secret pour le pianiste, l’habileté de ce Ghosts est de mettre en abîme la figure du double dans un processus de création, évidemment très obsessionnel. Stephan Oliva, en puisant dans ses souvenirs fantasmés, avec sa vive sensibilité, fait revivre un compositeur imaginaire et pourtant réel, un « autre » Herrmann, tout comme Lucy s’invente un capitaine dans le rêve de vie du film de Mankiewicz The Ghost and Mrs Muir, dont le thème, reconstruit, débute opportunément l’album.

Voilà, en filigrane, une nouvelle version (toujours) originale, qui, en enchâssant et enchaînant les motifs, écrit la B.O. d’un autre film, un film-miroir. En creux apparaît ainsi le portrait de Bernard Herrmann qui tient beaucoup de Stephan Oliva. Et s’illustre à nouveau musicalement la sombre folie des personnages des films d’Hitchcock dans Psychose et Vertigo, avec les virtuoses variations sur le même thème des « doubles/ doublures » de Brian de Palma, Sisters et Obsession.

La musique d’Oliva, à partir de motifs simples mais forts, de thèmes rythmiquement répétitifs, dans les graves du piano, en jouant de suspensions, nous entraîne dans une spirale élégiaque (accents schubertiens sur le prélude de « Fahrenheit 451 »), parfois plus violente et tourmentée. Mais cette nostalgie n’est pas douloureuse, elle ravive, ranime seulement des réminiscences de ces films aimés.

Soulignons aussi que le montage, particulièrement soigné, cohérent, de Nicolas Baillard, est une véritable réussite : il met en valeur l’enregistrement du concert privé à la Buissonne (où nous étions), le 2 décembre 2006, sur un piano arrangé et préparé par Alain Massonneau, autre familier des lieux.

Dernière note mélancolique : le disque s’achève sur le thème de Taxi Driver, mélodie jouée dans le style du jazz symphonique où s’illustrait le saxophoniste alto Ronnie Lang, non crédité - très injustement - à l’époque. C’est étrangement le seul exemple d’introduction du jazz dans l‘univers très « classique » du compositeur.

Ce fut aussi sa dernière œuvre : Herrmann est mort la veille de Noel 1975, après l’ultime séance d’enregistrement de la musique du film de Martin Scorcese