Chronique

Stéphan Oliva & Stéphane Oskéritzian

Cinéma invisible

Stéphan Oliva (p), Stéphane Oskéritizian (montage)

Label / Distribution : Illusions

A force d’interroger les interactions entre le cinéma et la musique, le disque que voici était inévitable. Drôlement excitant de surcroît. Depuis vingt ans maintenant, depuis Jazz’n’(E)motion au moins, Stéphan Oliva ne parle presque que de ça. Citons Ghosts Of Bernard Herrmann (doublé de Lives Of Bernard Herrmann), Film Noir, After Noir (Piano Gone) portraits, Vaguement Godard qui jouent en plein écran des partitions de film ou dressent en musique des portraits d’actrices ou d’acteurs. Pour rester dans la métaphore cinématographique - et passer de l’(E)motion à Motian, notons également que le second disque du trio qu’Oliva signe avec le batteur américain (et Bruno Chevillon) s’intitule déjà Intérieur Nuit (Night Bird Music, 2001). Il signe, par ailleurs, en 2007 la bande originale du film Liens du Sang de Jacques Maillot et propose régulièrement, au côté de Jean-Marc Foltz des cinés concerts (concernant notamment Segundo de Chomon, pionnier du cinéma au côté de Méliès).

Son amour pour le septième art n’est pourtant pas une passion solitaire. Un partenaire de l’ombre l’accompagne souvent dans les projets que nous venons d’évoquer. Stéphane Oskéritzian (avec son complice Philippe Ghielmetti), est même le responsable de l’idée astucieuse qui préside à Cinéma Invisible. Enfermer Oliva dans le studio La Buissonne (où il signe la plupart de ses enregistrements avec Gérard de Haro aux manettes) et lui donner quelques mots de la technique cinématographique, sur lesquels il improvise. Hors champ, plongée, arrière-plan, gros plan, générique, etc. donnent lieu à des mises en son qu’il est parfaitement ludique d’écouter à la lueur du mot sélectionné.

Dans un premier temps, on cherche à voir comment Oliva s’adapte à cette contrainte et donne à entendre ce qu’il faut habituellement voir. Il y parvient toujours avec inventivité. Pourtant très vite on s’abandonne. A partir d’une session de plusieurs heures de rushes, Oskéritzian a effectivement monté un programme qui s’écoute comme une seule pièce en rendant compte du toucher du pianiste. Constitué en vingt-quatre pastilles brèves, sa façon personnelle de jouer peu accorde aux notes un rôle sûr et crée beaucoup d’espace et de valeur. Les parties basses, notamment, évoluent avec délié et poésie sans jamais négliger la forme générale. Le titre “Ralenti” dont la résonance évoque, bien évidemment, une action lente, contient ainsi un pouvoir d’évocation fort. Ses couleurs mélancoliques et sa sentimentalité retenue font tout le charme de Stéphan Oliva et nous projettent dans ce film que nous ne verrons jamais autrement que mentalement.