Scènes

Clover : beaux airs aux Beaux-Arts

Retour sur le concert de Clover, le 10 septembre 2020 à Angers.


Alban Darche, photo Christian Taillemite

Le trio de patrons de label, Clover, se produisait dans le jardin du musée des Beaux-Arts d’Angers pour une soirée mélancolique qui annonçait la fin de l’été.

Le sentiment, à l’instant de se rendre à ce concert, est ambivalent. D’un côté, le plaisir de retrouver un rapport à la scène, interrompu pour cause de contraintes sanitaires depuis des mois, est bien là. De l’autre, l’idée dérangeante que cette reprise ne soit que de courte durée au vu de l’automne catastrophique qui s’annonce pour le monde de la musique en général et celui du jazz en particulier, inquiète. Les retrouvailles avec une formation déjà vue un an plus tôt domine toutefois ce moment doux-amer.

Un premier trio assure l’ouverture du double plateau d’une soirée inscrite dans le cadre d’Angers Cœur de l’été. The Sheraf Brothers se situe dans le prolongement d’un folk flirtant avec les atmosphères irlandaises, celles d’après l’immigration vers les Etats-Unis. Une musique des grands espaces qui préfigure ou reprend (tout dépend de quel point de vue on se place) ce que sera la grande aventure de la musique populaire américaine, Woody Guthrie, Johnny Cash, Bob Dylan etc. La voix grave, incarnée et un peu éraillée, s’appuie sur une guitare métronomique et enthousiaste, un violon aérien fait tourner la tête.

Proposé par l’association Jazz Maine qui approvisionne la ville en jazz vivant, vient ensuite Clover, un jeune trio pourtant vieux de vingt ans. Pas musicalement (quoique Alban Darche, Jean-Louis Pommier et Sébastien Boisseau ont participé à des projets communs), plutôt entrepreneurialement parlant - si on peut se permettre ce néologisme. A savoir que ses membres se sont jetés voici deux décennies dans une entreprise aussi folle que nécessaire : produire leurs propres disques ou ceux de leurs amis musiciens. Yolk, le label, implanté à Nantes depuis toujours, bénéficie aujourd’hui d’une notoriété méritée (Victoire du jazz du label de l’année en 2019) et continue d’enrichir son catalogue avec le même savoir-faire artisanal.

Jean-Louis Pommier, photo Michel Laborde

Mais lorsque des musiciens font ensemble autre chose que de la musique, immanquablement ils finissent par y retourner. Ce soir, Clover est installé dans un jardin public sur une scène dominée par le musée des Beaux-Arts. Devant la majestueuse façade en tuffeau blanc, grand plan vertical à l’architecture droite, la musique s’imprègne du décor : épurée, noble et délicieusement mélancolique. Savamment mélancolique même, puisque les trois voix jouent de manière resserrée et se complètent dans une articulation mathématique qui, sans montrer sa complexité, dégage un parfum capiteux et étrange.

Pas de prise de solo dévastateur, d’interplay brûlant, tout est ici du domaine du subtil et de la valorisation d’une partition soignée qu’il s’agit de servir. En cela, le trombone de Jean-Louis Pommier et le saxophone d’Alban Darche sont des interprètes sérieux. Avec suavité, ils chantent ensemble des airs doux qui invitent à un voyage en demi-teintes. Tristesse, délicatesse, sérénité et sens de l’espace, ponctués par la contrebasse fluide de Sébastien Boisseau, le chemin ne connaît pas d’accrocs ni de rupture et se situe dans un à-côté d’une belle tenue en ces temps incertains.