

Tim Berne, Tom Rainey, Gregg Belisle-Chi
Yikes Too
Tim Berne (as), Tom Rainey (d), Gregg Belisle-Chi (eg).
Label / Distribution : Out of Your Head Records
À soixante-dix ans passés, Tim Berne, l’ex-enfant terrible du jazz américain, continue sur sa voie, avec une radicalité et une exigence qui ne faiblissent pas au fil des années. Toujours aussi brûlante, sa musique est traversée d’interventions solistes tortueuses et ascensionnelles dans le trio qu’il présente aujourd’hui, enrichie par le concours de deux partenaires qui soutiennent et dynamisent son esthétique.
Son vieux compagnon de route Tom Rainey, qui officie avec lui depuis de nombreuses années et dont la participation rappelle le travail mené au sein de Big Satan, formation majeure de la geste bernienne, développe une pratique déconstruite de la batterie, évoluant comme en parallèle presque indépendamment de ses deux partenaires tout en leur proposant, par ce déséquilibre même, une tension fructueuse qui alimente notamment le chant de l’altiste.
Le guitariste Greg Belisle-Chi, de son côté, avec qui Berne collabore étroitement ces derniers temps (souvenir d’un trio avec Hank Robert au Petit Faucheux), est lui aussi le terreau idéal au déploiement du saxophoniste. Par son jeu plein, gorgé d’harmoniques, sa capacité à apprécier l’insistance des motifs, la nervosité de ses riffs et le remplissage fauve de l’espace sonore, il offre une palette large et orchestrale sur laquelle construire un discours, aussi sinueux soit-il.
Car en la matière, ce disque qui paraît chez Out Of Your Heads Records (et non plus chez Intakt comme c’était le cas des dernières productions) revient à un travail sur la composition qui avait été délaissé sur Candid et, dans une moindre mesure, sur Oceans and, axés l’un comme l’autre sur l’improvisation et le travail sur la texture. Ce double disque propose d’ailleurs pour plusieurs titres une version en studio puis une autre captée live ; les secondes ne sont pas les pendants débridés des premières, car il s’agit bien de deux approches, aussi intenses l’une que l’autre, dans lesquelles on peut entendre la poétique âpre du saxophoniste.
En respectant le balisage de l’écriture, le format resserré du trio permet de maintenir à un haut niveau de spontanéité un interplay vigoureux qui donne beaucoup de souplesse à l’interprétation. Dans les dix-huit titres, les trois musiciens arpentent un territoire brûlant qui ne se livrera pas à l’auditeur distrait tant cette musique est exigeante. Usage obstiné des grands intervalles, structures à la fois complexes dans leur déroulé et capables dans le même temps de s’immobiliser sur des instants longuement labourés, impatience narrative, font de Tim Berne une voix unique de notre présent, toujours aussi pertinente aujourd’hui.