Chronique

Steve Shehan

Hang With You

Steve Shehan (hang, space drum, p, b, perc), Golshifteh Farahani (voc, space drum), Ibrahim Maalouf (tp), Ugo Rabec (vln), Virginie Basset (vln), Charlotte Castellat (violoncelle), Didier Malherbe (doudouk), Charles Lucas (b), Peter Herbert (b), Baly Othmani (voc).

Label / Distribution : Naive

Fin du chapitre Hadouk pour le percussionniste Steve Shehan qui décide de se consacrer à l’exploration du hang avec… Hang With You [1], son huitième album solo. Mais il est resté en bons termes avec ses camarades, et nul ne sera surpris de compter Didier Malherbe parmi les invités de ce voyage planétaire en 75 minutes. Le flûtiste saxophoniste est même venu avec son inséparable doudouk, ce hautbois arménien qu’il fait encore chanter une fois dans Hadoukly Yours, dernière production, en quartet cette fois, de son groupe fétiche.

Avant d’aller plus loin, attardons-nous quelques instants sur le hang car, contrairement à ce qu’il serait tentant d’imaginer en raison de son apparente rusticité, ce steel drum ne remonte pas à la nuit des temps. Non, le hang est né au début du siècle, du côté de Berne [2]. Il se compose « d’un volume lenticulaire creux composé de deux coupelles métalliques embouties. La partie supérieure de l’instrument s’appelle le Ding, elle est constituée d’une note fondamentale et de sept ou huit notes qui l’entourent. La partie inférieure, Gu, est une surface lisse dotée d’un trou en son centre » [3]. Voilà donc un petit nouveau dans la sphère musicale ; ses richesses ne pouvaient que séduire le percussionniste, dont on connaît le sens de la polyphonie et la curiosité pour toutes les musiques du monde.

Cette nouvelle quête sonore comportait un piège : celui d’oublier l’émotion au profit d’une ambient music distante et désincarnée. Mais ce musicien habité de longue date par son art n’est pas de ceux qui cèdent à la facilité. Hang With You est une invitation au voyage, et pas seulement au sens spatial. Il faut le comprendre comme le fruit d’une authentique recherche, tant musicale qu’existentielle. Ses couleurs souvent mystérieuses et impressionnistes reflètent une démarche profonde, celle d’une élévation personnelle. Pour l’atteindre, il s’entoure d’artistes impliqués et passionnés comme lui. Leur énumération donne une idée assez précise des directions à partir desquelles il réussit la fusion : Didier Malherbe, on l’a vu, mais aussi Golshifteh Farahani, actrice iranienne elle-même joueuse de hang qu’elle pratique en duo avec lui, le trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf, le chanteur touareg Baly Othmani, le baryton Ugo Rabec, la violoncelliste Charlotte Castellat ou bien encore le flûtiste sibérien Vladiswar Nadishana.

Steve Shehan évolue d’un continent à l’autre en leur compagnie, et leur accorde la place nécessaire à leur épanouissement tout en régnant au centre de son archipel percussif et mélodique (il joue aussi de la basse et du piano) avec beaucoup de retenue. Il développe ainsi un art de la suggestion qui fait de lui un catalyseur tout autant qu’un leader. Musicien élégant, il prouve une fois encore qu’il est toujours bon de franchir les frontières et de ne pas s’enfermer dans le cadre trop étroit des styles. Il n’est question ici ni de jazz, ni de world music, ni même de musique dite ethnique : l’album est une œuvre inclassable, aux confins d’univers multiples, une forme sonore que le percussionniste sculpte à mains nues. En se risquant à un oxymore, on inventerait volontiers pour cette musique le qualificatif de lyrisme méditatif : loin de chercher à passer en force (ce n’est pas le genre de Steve Shehan !), Hang With You demande qu’on vienne à lui en toute sérénité. C’est un album qui célèbre la beauté et ouvre discrètement la porte de ses mondes intérieurs. On ne risque rien à la pousser.

par Denis Desassis // Publié le 28 avril 2014
P.-S. :

[1Les anglophones apprécieront le jeu de mots, qu’on peut traduire très librement par Ballade avec toi.

[2Le mot hang signifie main en bernois.

[3Pour en savoir plus, on peut se reporter au site hangdrum.fr.