Sylvain Rifflet
Saxophoniste et clarinettiste, Sylvain Rifflet a fortement marqué les derniers mois par ses participations à des projets inventifs et de haute tenue. Il évoque pour nous son parcours et ses projets.
Saxophoniste et clarinettiste, Sylvain Rifflet a fortement marqué les derniers mois par ses participations à des projets inventifs et de haute tenue. Avec le groupe Alphabet et le disque portant le même nom, il propose une musique originale jouant sur le dépouillement et la répétition. Une formule magique qui a séduit le public.
Avec son spectacle autour de la musique de Moondog, bientôt diffusé sur Mezzo, il s’est révélé conteur, metteur en sons d’images et d’histoires. Avec l’ensemble Art Sonic, il participe à l’une des plus belles aventures musicales de la décennie. Et, modeste, il continue à exécuter de magnifiques solos dans les formations des autres, au service de la musique. Bientôt quadragénaire, il n’est plus de la génération des « jeunes » musiciens - de ceux qu’on appelle çà et là les « Affranchis »… Il les précède de peu, mais il a acquis une maturité qui le place aujourd’hui parmi les musiciens d’envergure. Européen, il expérimente aussi avec les musiciens d’autres pays, d’autres cultures. Citoyen, il se positionne comme acteur du monde de la musique. Cet artiste précis, sérieux et inspiré évoque son parcours et ses projets.
La force tranquille en mouvement.
- Êtes-vous satisfait de votre situation actuelle de musicien professionnel ?
La situation sociale des musiciens en France, même si ce n’est pas évident pour tout le monde, est tout de même assez bonne. La structuration du jazz et de son enseignement, le tissu des festivals et des clubs, et le statut d’intermittent, sont tout de même des éléments très positifs que beaucoup nous envient. À titre de comparaison, je suis professionnel à temps plein depuis plus de quinze ans alors que mon ami américain Jon Irabagon a cumulé (sans forcément le désirer) plusieurs postes de professeur qu’il vient seulement d’abandonner, après quatorze ans de vie à New York.
J’ai la chance d’avoir un bon agent. Pas de ceux qui possèdent trois iPhones et une casquette Nike, et qui envoient des newsletters insupportables à tour de bras ! Plutôt le genre à lire des livres, aller au spectacle et pouvoir soutenir une discussion intelligente. J’ai aussi été très aidé ces dernières années par Jazz au fil de l’Oise, Banlieues Bleues et la Drac Île-de-France, entre autres. D’un point de vue « sociologique », le jazz français est un microcosme où j’ai de bons soutiens mais aussi de vrais détracteurs. Rien d’exceptionnel là-dedans, et de toute façon, le consensus est une des choses que je fuis !
- Sylvain Rifflet/Didier Levallet photo Ph. Méziat
Pour le reste, je doute en permanence de mes choix musicaux, de ma capacité à me renouveler, à évoluer et faire évoluer mon travail dans de nouvelles directions. Ce n’est pas simple, mais c’est le lot de tous les musiciens contemporains pour lesquels j’ai un peu d’intérêt. Je me sers de ces incertitudes pour entretenir ma soif de travail et mon appétit de nouveauté. Je ne regarde pas derrière moi, non par snobisme, mais par peur d’avoir « raté », peur de constater ma « médiocrité ». Cela peut paraître un peu idiot mais c’est ainsi.
- Vos activités sur la scène européenne sont nombreuses, mais comment expliquez-vous que le jazz ait tant de mal à franchir les frontières ?
Ce qui se passe ailleurs, en Europe et en Asie notamment, est intéressant, et je suis assez heureux d’avoir quelques projets avec des musiciens étrangers. Pour le moment, j’ai l’impression que c’est la France d’un côté et le reste de l’Europe de l’autre. Je me trompe peut-être, car quelques signes me montrent que c’est en train d’évoluer avec notre génération. Néanmoins, les Allemands, les Belges, les Hollandais (par exemple) jouent partout en Europe (du nord, surtout, mais aussi de l’est), mais pratiquement pas en France. En dehors du pont bâti par Jazzdor Berlin ou des programmes de développement pour jeunes musiciens (donc pas pour moi… d’ailleurs, à 37 ans, j’aimerais bien quitter cette catégorie, et je crois que mes cheveux gris attestent de ma « maturité » !) comme « Take 5 Europe », il ne se passe pas grand-chose. Je n’ai eu accès à aucun des deux, et les choses se sont faites par d’autres biais ; mais c’est plus long, plus fastidieux, et pour le moment, je n’arrive pas à proposer d’ouvertures en France aux musiciens avec qui je joue ou rêve de jouer, alors qu’eux réussissent à m’inviter régulièrement. Je trouve dommage, voire gênant, de ne pas pouvoir faire découvrir Verneri Pohjola au public français. On a quand même quelques concerts avec Pascal Schumacher - nous avons joué à Cluny cet été et nous jouerons à Reims en novembre - j’espère que cela séduira d’autres programmateurs.
- Quelle a été votre formation ?
Mes parents sont musiciens amateurs de très bon niveau, hautboïste et pianiste. J’ai fait plusieurs années de piano dès 5 ans, dont il ne me reste presque rien, puis du saxophone à partir de 12 ans avec Pascal Dupont, un bassoniste qui enseignait aussi le saxophone et m’a donné le goût de cet instrument. Puis, enseignement mixte saxophone classique/jazz avec deux formidables professeurs (Michel Goldberg et Philippe Portejoie), un bref passage à Noisiel - le conservatoire du Val Maubuée, à Lognes avec Bertrand Auger où j’ai rencontré Rémi Sciuto, Vincent Taeger et pas mal d’autres… Enfin, le CNSM, vite fait (« mal fait » ?) en trois ans avec trois directeurs différents (François Jeanneau, François Théberge puis Riccardo Del Fra) ; je n’en ai pas beaucoup profité et parfois je le regrette un peu, mais à l’époque, je jouais beaucoup et j’avais plus envie de cela que de cours. Peut-être à tort.
- Que retenez-vous de ce passé ? Qu’ont représenté pour vous Del Fra, Michel Portal, Kenny Wheeler, Didier Levallet, Joey Baron, Pascal Schumacher, le Pandémonium de François Jeanneau, l’European Jazz Youth Orchestra, le MegaOctet d’Andy Emler, le Sacre du tympan de Fred Pallem, le Gros Cube d’Alban Darche ?
J’ai longtemps joué avec Riccardo Del Fra. C’était une formidable expérience. Grâce à lui on a croisé la route de Kenny Wheeler ou Joey Baron, et j’ai enregistré plusieurs musiques de film avec lui. Il m’a incité à jouer beaucoup de clarinette et m’a fait confiance alors que je ne voyais cet instrument que comme une doublure.
Avec Michel Portal je n’ai qu’une seule expérience et c’est dommage : j’ai adoré ça, notamment le « contact » avec Bojan Z ; c’est une de mes idoles, depuis le premier disque avec Julien Lourau, Marc Buronfosse et François Merville. Me retrouver à jouer avec lui, c’était un rêve ! J’ai une vraie affection pour Didier Levallet avec qui j’ai joué (un peu) mais avec qui j’adore échanger sur la musique, le jazz, la situation des musiciens. Il est d’une grande fraîcheur et curieux de tout !
Je joue avec Pascal Schumacher depuis peu de temps mais on s’entend très bien, on s’est rencontrés par l’intermédiaire du contrebassiste Marc Demuth qui faisait partie, avec moi, de l’EJYO (European Jazz Youth Orchestra). Pascal cultive un sens de la beauté dans la simplicité que j’admire. Nous avons aussi « Blind_date », avec Henning Sieverts et le trompettiste Verneri Pojhola, que j’aimerais jouer plus souvent. Verneri a une palette de possibilités comme j’en connais peu - on retrouve ça chez Arve Henriksen, Peter Evans, Eivind Lønning - un mélange de douceur et de folie que j’adore.
Puis il y a mes participations au sein d’orchestres de plus grande taille. Avec François Jeanneau, nous avons malheureusement peu joué ; il y avait là ma section de saxophones préférée : Thomas de Pourquery et François lui-même. L’EJYO est un formidable orchestre d’Européens ; j’y ai fait de belles rencontres (par exemple le hautboïste israélien Yoram Lachish ou le pianiste Rembrandt Frerichs…). Je remplace parfois Laurent Dehors dans le MegaOctet coincé entre l’incroyable François Thuillier et Thomas de Pourquery, et poussé par la rythmique survitaminée Emler-Tchamitchian-Verly-Échampard !
Je tiens à ajouter dans cette liste Rigolus, un groupe très important pour moi, et qui a énormément joué. Il a été fondé par Laurent Bardainne et Thomas de Pourquery ; je les ai vite rejoints et j’ai beaucoup appris avec eux. Ce sont bien sûr deux « super-saxos », mais Laurent a aussi un sens inné de la composition (il a écrit des morceaux qui restent pour moi des « tubes », pour Rigolus comme pour Limousine), et Thomas y a fait ses premières armes en tant que chanteur (avec le succès qu’on lui connaît aujourd’hui). Il est à l’aise sur scène, toujours différent, sans recette, tout improvisé, un sens du public incroyable. On a fait des choses folles avec des chorales de mamies, de chanteuses toutes plus belles les unes que les autres, des happenings, des soirées avec des « stars » aussi bien que… des marchés. On était jusqu’au-boutistes dans notre envie d’une musique populaire, énergique, drôle mais sérieusement travaillée.
- Vous jouez aussi régulièrement dans les formations d’Alban Darche et de Fred Pallem, et vous avez souvent été musicien de pupitre dans de grands ensembles. Comment vous sentez-vous au service d’une écriture, d’un ensemble, d’un chef ? Quelle est la place d’un soliste, leader, compositeur comme vous dans un grand orchestre ?
C’est une « école », on y apprend une forme de rigueur, d’efficacité, de métier, on y croise des tas de musicien(nes) différent(e)s, c’est un lieu de partage et de confrontation de points de vue, d’esthétiques. C’est très agréable de se fondre dans un ensemble et travailler à y intégrer son « son ». Et j’aime l’adrénaline que procure le solo dans ce contexte.
Je travaille mes instruments très rigoureusement en termes de méthode et de fréquence, mais quand je joue, ce qui m’intéresse c’est le « lâcher-prise », l’oubli, l’abandon, avec le risque que cela comporte. La maîtrise ou le contrôle m’ennuient ; même si j’admire les musiciens qui se contrôlent totalement, je préfère chercher dans un espace où l’imperfection est un risque difficile à surmonter.
Ma position dans un contexte rigoureux comme celui de la grande formation est un petit jeu amusant auquel j’aime me livrer. Dans les variantes du Gros Cube d’Alban Darche, je peux me le permettre, à plus forte raison quand il déroule pour moi un tapis rouge comme « Les silhouettes », sur le prochain disque de l’OrphiCube. Alban, comme Fred Pallem dans une esthétique différente, est un catalyseur. Pratiquement tous les musiciens de son, de leurs orchestres actuels (comme des précédents) sont des solistes, leaders et compositeurs.
Il y a longtemps que je travaille avec Alban, j’aime son écriture et son esprit. Il faut du temps et de la volonté pour se l’approprier mais j’y trouve toujours ma place. Et jouer avec François Ripoche, Matthieu Donarier, Sébastien Boisseau, Christophe Lavergne, Didier Ithursarry et les autres, c’est un plaisir. Et puis, si j’ai fait le choix - pas toujours simple - de mener mes projets et de me concentrer sur mon propre travail, il est enrichissant d’aller voir ailleurs, d’avoir le plaisir de jouer du saxophone et de la clarinette sans la responsabilité de porter le projet.
Fred Pallem est un grand arrangeur. Toutes ses partitions, même les plus futiles en apparence, ont un intérêt, et il y a toujours un solo de Rémi Sciuto ; et ça, ça ne se rate pas ! Enfin, je nourris le secret espoir de faire avec Fred une sorte de Focus (Stan Getz/Eddie Sauter) des temps modernes. Les grandes formations de Fred et d’Alban sont les deux seules que je conserve.
- Sylvain Rifflet Alphabet photo F. Journo
- Les groupes qui portent votre empreinte sont Rockingchair, Beaux-Arts, Alphabet, Art Sonic. Quelle est leur histoire respective ?
Rockingchair est mon premier groupe, une utopie collectiviste qui a malheureusement échoué. Il y avait là le développement d’un travail passionnant sur les mélanges entre le jazz et les apports de l’électronique, on poussait aussi loin que possible (en tout cas pour nous - car cela ferait sûrement rire les spécialistes ès musique contemporaine et électronique) ce travail sur les interactions entre musiciens et machines. C’était un vrai laboratoire, avec des errances, des fausses pistes, des difficultés. Le prix de groupe au Concours de La Défense lui a mis le pied à l’étrier. Rockingchair en était à ses balbutiements et notre Django d’Or du Nouveau Talent en 2008 (en plus du prestige dont il jouit à l’étranger) nous a permis de rembourser ce qu’on avait emprunté à un de mes plus vieux amis pour enregistrer notre premier disque. Ce groupe était bon en studio, et on a fait un second disque dont je suis très fier, mais nous avions de réelles difficultés sur scène.
Beaux-Arts est une production un peu spéciale qui n’était pas destinée à l’enregistrement, une commande du festival Jazz au fil de l’Oise qui m’a donné carte blanche pour écrire une musique pour quatuor à cordes (Norel/Janinet/Boukhtem/Koundouno), auquel j’ai ajouté Gilles Coronado et Christophe Lavergne. Je trouve que j’ai un peu raté le disque mais je suis tout de même déçu de n’avoir pas fait un seul concert avec ce répertoire après sa création. Pas assez comme ci, trop comme ça… Il y a même un programmateur (à mon sens le seul qui aurait pu se permettre de nous faire jouer en restant cohérent dans sa programmation) qui m’a répondu « Je n’envisage pas la programmation de « Beaux-Arts », trop loin du centre de gravité de ma série de concerts » (centre de gravité déjà très difficile à établir étant donnée la diversité des groupes accueillis) ; et le même d’ajouter, alors que je lui proposais Alphabet : « Excentré aussi, pour d’autres raisons, et pas plus envisageable pour l’instant… » Avec ce genre de réponse, les choses ont au moins le mérite d’exister et d’être claires : « Rifflet ? Circulez, y a rien à voir ! » C’est toujours mieux que ceux qui ne répondent pas et regardent leurs chaussures quand ils te croisent !
Alphabet : le bonheur ! La bonne idée ou le bon coup de chance ! La synthèse de plusieurs années de travail ! L’avenir, je l’espère ! Ce groupe est formidable dans le travail, souple, efficace, avec un son unique et en constante évolution. On a fait près de quarante concerts en deux ans, un disque et une création autour de Moondog… Le groupe a été soutenu par Jazz au fil de l’Oise pour ses débuts, puis Banlieues Bleues, le centre Régional du jazz en Bourgogne, l’Adami… Je prépare un second disque et j’essaie de faire publier le spectacle autour de Moondog.
Art Sonic : c’est une idée de Joce Mienniel que j’ai suivie avec enthousiasme, une expérience d’adaptation du format classique (et parfois aride) du quintette à vent à une musique originale, intégrant l’improvisation et une approche - qu’on espère singulière - de nos instruments. C’est une formation dans laquelle ma position n’est pas forcément simple, car je ne suis pas vraiment clarinettiste et j’ai parfois un peu « honte » quand j’entends les vrais (Chausse, Dousteyssier, Dehors, Godet, Mirabassi, etc.).
- Vous ne vous considérez pas comme clarinettiste ? Par une sorte de complexe ?
Pas du tout ; c’est une vision très réaliste, au contraire. Je ne peux pas tout jouer à la clarinette (en tous cas, nettement moins de choses qu’au saxophone). J’ai des limites, mais ça ne me rend pas triste - je pense même que ça m’amène à jouer différemment. C’est mon deuxième instrument ; je l’affectionne tout particulièrement et le travaille avec assiduité, mais ça restera toujours mon deuxième instrument ! Même si l’image est assez simpliste, je fais de l’escalade, je suis débutant, mais c’est fascinant et motivant de voir des hommes-araignées suspendus dans le vide, à l’horizontale. Eh bien, même si la musique ne revêt pas que cette dimension athlétique, c’est tout de même assez similaire quand j’entends des clarinettistes jouer des choses que je ne me sens pas capable de jouer. Cela dit, je préfère encore la clarinette, même médiocre, au soprano !
- Cette association avec Joce Mienniel (Alphabet, Paris Short Stories, l’Encodeur et Art Sonic) est très harmonieuse. Que dites-vous de cette complicité ?
Chaque groupe est différent. Alphabet est celui que je porte, Paris Short Stories le premier disque de Joce pour son label Drugstore Malone, et L’Encodeur notre duo. Chacun a une histoire propre, mais on s’y retrouve avec plaisir dans le respect de la place de chacun, au service de la musique. Il y a entre nous une complicité qui naît de notre rapport au son de nos instruments, notre recherche sur le souffle, les techniques étendues. On a d’ailleurs en projet une version totalement acoustique de l’Encodeur, peut-être en tendant vers le travail de Streifenjunko ou des solos de Colin Stetson, plus bruitiste, minimaliste et épuré. On échange aussi beaucoup, on est tout le temps en train d’écouter et de partager des découvertes, on a tous les deux la même peur de « s’encroûter », le même désir de toujours évoluer.
- D’où vient votre passion pour Moondog ?
Je ne parlerais pas de passion mais de curiosité. C’est Xavier Lemettre (directeur de Banlieues Bleues) qui me l’a fait découvrir. De fil en aiguille s’est installée l’idée de travailler sérieusement autour de ce précurseur du minimalisme (terme pas toujours approprié…) et de la musique répétitive de la deuxième moitié du XXe siècle. J’y ai associé Jon Irabagon pour faire le lien avec le continent où le « Viking » a vécu, et on a reçu l’aide du FAJE (French American Jazz Exchange). J’ai fait des recherches avec l’aide d’Amaury Cornut qui est, en France, le spécialiste du personnage, puis construit une histoire, un récit à partir de pièces sélectionnées, significatives et représentatives de son œuvre. Ensuite nous avons mis le tout en scène avec Anne Marion-Gallois et mon frère Maxence pour la dimension visuelle.
On a travaillé sur les rapports entre l’image et le son en prenant comme matière première les compositions mais aussi l’histoire de Moondog, l’homme de la rue, bricoleur-inventeur d’instruments de génie, etc. Le tout a donné lieu à un documentaire réalisé par mon autre frère, Arthur, qui sera diffusé sur Mezzo en 2014. J’espère rejouer ce programme ; j’ai quelques pistes, mais je ne comprends pas pourquoi l’accueil apparemment unanime qu’il a reçu ne débouche sur rien de concret, d’autant que cette grosse production (avec une chorale d’enfants, de la vidéo, de la mise en scène et Alphabet augmenté d’Eve Risser et de Jon) est réalisable de façon plus modeste, avec des collégiens ou des chorales constituées.
- Sylvain Rifflet. Alphabet à la Dynamo, juin 2013. Photo Fabrice Journo
- Vous avez aussi travaillé sur des remix, des musiques de films ou de documentaires, des effets… Quelle est votre relation au numérique et à la machine ?
J’adore écrire pour les documentaires, mais je ne l’ai fait qu’une fois pour un long-métrage ; c’était une très belle expérience, je me suis impliqué tout au long du film, du scénario au montage. C’était du bon travail ; on avait fait le choix judicieux de mettre peu de musique, mais de la cibler précisément. Je ne fais plus beaucoup de remix : j’ai trop peu de temps pour bien faire et je suis un peu las du travail fastidieux avec les ordinateurs. On en a beaucoup fait avec Guido Zorn et Gilles Olivesi du temps de Rockingchair, ça prend un temps fou et on n’a jamais de certitude quant au résultat.
J’admire les musiciens qui travaillent ça comme un instrument, mais moi, j’ai besoin de jouer pour me sentir bien, physiquement et mentalement. Le logiciel Usine d’Olivier Sens est une avancée pour la musique, et j’espère un jour faire quelque chose avec lui, mais j’aime autant réfléchir aux idées musicales et laisser à un spécialiste comme lui le temps de les réaliser. Par ailleurs je ne tiens pas du tout à être associé à la vague électro-jazz-rock, je n’ai jamais aimé le son de saxophone traité, un peu « low-fi » (pour la clarinette c’est un peu différent car plus singulier). Je préfère jeter dans mes disques quelques éléments d’électronique avec parcimonie (l’introduction du second disque de Rockingchair ou l’interlude entre les deux parties du premier morceau d’Alphabet par exemple).
Avec Jocelyn, on a poussé au maximum de nos capacités l’utilisation des ordinateurs avec l’Encodeur. On était dans l’esprit de Fennesz ou de Stars of the Lid, avec l’idée d’utiliser nos instruments pour produire du signal dans un contexte totalement improvisé - c’est d’ailleurs ce qui nous a donné envie de revenir par la suite à une recherche instrumentale pure - mais aujourd’hui, j’ai envie de quelque chose de plus simple, de plus « concret ». Je ne sais pas du tout quelle direction je vais prendre, je cherche une voie intéressante qui me permette de « compiler » mon travail passé tout en l’emmenant ailleurs. Pour le moment je n’ai que des ingrédients et des envies, pas encore de « recette » à mon sens satisfaisante. (Je parlais de simplicité et de « concret » par rapport à mon travail avec Joce sur l’Encodeur - une envie de travail sans effets, sans électronique, dans un rapport direct avec l’auditeur.)
- En ce qui concerne les enregistrements, vous avez choisi de proposer en téléchargement le premier disque d’Alphabet. Quelle est votre position sur l’industrie du disque, le téléchargement, le streaming, etc. ?
« Choisi » est un bien grand mot… J’ai cherché à donner de la visibilité à ma musique. Les labels ? Trois en trois disques. Et pourtant, cette fois encore j’y ai cru, j’ai même discuté un peu avec le label de mes rêves, mais finalement aucun n’a voulu de ce disque, alors j’ai tout fait tout seul. Mais c’est que tout le monde fait aujourd’hui ! De Dave Douglas à Joce Mienniel en passant par Yolk ou Coax. Je ne voulais pas m’astreindre à la discipline du « label » et subir les histoires de distribution physique et/ou numérique, de royalties et autres réjouissances commerciales pesantes. Je voulais seulement que la musique de ce groupe soit suffisamment diffusée pour qu’on puisse faire des concerts, et de ce point de vue-là, ça a plutôt bien fonctionné. Aujourd’hui, à la veille du second disque, j’aimerais beaucoup que ça change parce que c’est tout de même plus simple quand on est dans un système ; les labels sont un vrai soutien, un vrai moteur, notamment pour l’export.