Chronique

Tatanka

Forêts

Emmanuelle Legros (tp, bugle, p, voc), Guillaume Lavergne (Rhodes, p, synth, voc), Corentin Quemener (dms, perc, voc).

Label / Distribution : La Bisonne

Retenez bien, à moins que ce ne soit déjà fait, le nom d’Emmanuelle Legros, certes loin d’être une débutante – cette musicienne lyonnaise est membre du Very Big Experimental Toubifri Orchestra et du collectif Petit Travers, entre autres expériences – mais qui affirme avec Forêts, deuxième album du trio Tatanka (après Baikal en 2018), sa personnalité décidément singulière et nous embarque au cœur d’un monde secret, « des lieux non défrichés qui n’ont pas subi le traitement des humains ».

La trompettiste (également chanteuse et parfois tromboniste), bien entourée de Guillaume Lavergne (piano, claviers) et de Corentin Quemener (batterie, percussions), a cette faculté de créer de toutes pièces un univers dont la force poétique va de pair avec un recours constant à la surprise. La musique de ces trois explorateurs des sous-bois vous confronte à une succession d’événements sonores, de bifurcations et de découvertes nées d’une imagination très féconde. Tout cela capte d’emblée l’attention, vous attire dans ses filets taquins pour vous conduire – surtout, gardez les yeux fermés et faites confiance à cette étonnante cellule de musiciens – dans un ailleurs nocturne dont les petits mystères ont des airs de contes destinés aux enfants que nous devrions tous être restés. Forêts est une manière de cabinet de curiosités, mis en lumière par une instrumentation inventive, qu’il s’agisse des trouvailles multiples des percussions, du bouillonnement liquide d’un synthétiseur aux couleurs vintage, d’un Fender Rhodes aux textures charnelles, d’une boîte à musique surgie de nulle part, de l’envol d’une voix ou, tout simplement, du souffle droit et volontaire de la trompette. C’est un rêve éveillé en mélodies entêtantes dopées à l’énergie, un songe un peu foufou mais tellement réjouissant ! Vous croiserez même Thelonious Monk, à peine caché dans la brume d’une nuit au parfum d’humus… « On a enregistré des signaux de fumée, je ne sais pas si ça s’entend », nous dit-on.

En réalité, on entend beaucoup plus de choses tout au long des douze compositions (dont Emmanuelle Legros a signé la plus grande partie) faisant de ce disque une rencontre qui devient vite addictive : ce qui se joue ici est un jazz d’aujourd’hui et demain, libre de ses mouvements, jamais à court d’idées nouvelles, une création dont la mobilité des structures paraît infinie. Ici tout semble possible, ouvert aux vents d’influences multiples, en prise avec une nature encore préservée. C’est une « Crazy Dance » qui vous tend la main et vous entraîne dans son tendre tourbillon. À consommer sans modération…