Tribune

Super Jazz Women, un podcast pour parler de la place des femmes.

Cinq invitées pour parler de leur condition de femmes dans le milieu du jazz.


La chanteuse Chloé Cailleton et le pianiste Guillaume Hazebrouck s’intéressent à la place des femmes dans le jazz à travers un podcast en cinq parties. Entourés d’invitées, ils abordent de l’intérieur les problématiques qui les touchent. Du modèle qu’ont pu constituer les anciennes figures historiques féminines à la place à se faire, on ne naît pas musicienne de jazz, on le devient.

C’est au Petit Faucheux, sur une idée de Françoise Dupas (ancienne directrice récemment disparue), que revient l’initiative de ce podcast faisant écho à une journée d’étude dont nous avions rendu compte en 2019. Avec la réalisatrice Lucie Baverel, le duo de musiciens accueille à chaque épisode une personnalité différente et la confronte à des modèles, féminins bien évidemment, qui l’ont particulièrement marquée (ou pas, et nous y reviendrons) au long de son parcours de musicienne. Ce sont la pianiste Leïla Olivesi, la batteuse Julie Saury, la trompettiste Airelle Besson, la flûtiste Sylvaine Hélary et la saxophoniste Léa Ciechelski. Des instrumentistes différentes, des générations différentes mais un constat identique : la place des femmes dans l’histoire du jazz n’a jamais relevé de l’évidence, ce qui pouvait s’entendre dans la société masculine et ségrégationniste américaine de la première moitié du XXe siècle, mais s’explique moins de nos jours et en France, cinq ans après le mouvement #MeToo.

Pourtant, les choses bougent et ces podcasts mettent en lumière des musiciennes qu’une relecture de l’Histoire permet de mettre, enfin, à la place qui est la leur (écoutez par exemple les emprunts flagrants de plusieurs pianistes, Monk compris, à une composition de Mary Lou Williams). Qu’il s’agisse de Geri Allen pour Olivesi, Sheila E. pour Julie Saury ou encore… P.J. Harvey pour Sylvaine Hélary, toutes reconnaissent l’importance du modèle dans la construction d’une identité musicale. Signe des temps : Léa Ciechelski, la plus jeune des cinq, est celle qui nomme le plus spontanément quantité de femmes (de Billie Holiday à Carla Bley, en passant par Jeanne Lee) qui ont pu l’influencer, y compris hors pratique instrumentale. De son côté, la trompettiste Airelle Besson se voit dans l’incapacité de citer un quelconque modèle féminin, tant l’instrument est majoritairement associé aux hommes (et vous, spontanément, en êtes-vous capable ?).

Julie Saury © Christophe Charpenel

Si les grands modèles ont permis aux invitées de s’affirmer, c’est bien évidemment leur talent qui a compté avant tout et chacune a su piocher dans leurs styles respectifs pour s’en inspirer. Pourtant, et cette dimension politique fait tout l’intérêt de cette série d’entretiens, l’invisibilisation des femmes, passées ou actuelles, au sein de la société des musicien·ne·s demeure une authentique problématique dont l’évolution dans le temps est lente, hélas.

Le sexisme ordinaire est encore bien présent dans le milieu, notamment chez des hommes d’une certaine génération. L’essentialisation de la féminité – à savoir que les qualités artistiques d’une femme ne seraient dues qu’au seul fait d’être femme, plutôt qu’à des capacités individuelles – a encore cours. Par ailleurs, les femmes elles-mêmes s’imposent de manière intériorisée une forme d’obligation de posture qui les freine dans leur parcours (c’est le témoignage de Julie Saury qui déclare que pour être acceptée dans ce milieu, les femmes se doivent d’être « meilleures » que les hommes pour être considérées comme « normales ». On note la contradiction).

Les deux intervieweur·euse·s sont également musicien·ne·s : la connivence est là et la parole libre. Les constats sont simples, justes, sans animosité et avec beaucoup d’humour. Outre les extraits sonores (dont des archives bien choisies) qui agrémentent les échanges, les émissions se concluent par des interventions live en trio (piano / voix + l’invitée), captées depuis la scène du Petit Faucheux.

Sans tomber dans une propagande idéologique, ce tour d’horizon sur la question permet de circonscrire, une fois encore, les difficultés rencontrées par les femmes artistes dans l’exercice de leur métier. Ceci induisant certainement cela, on découvre, dans le même temps, le portrait de personnes indépendantes qui, malgré les obstacles inhérents à toute société, réussissent à affirmer une identité, au-delà des genres et au bénéfice de belles qualités musicales.