Chronique

The Khu

Happy ?

Nicolas Péoc’h, as ; Johan Blanc, tb ; Benoît Lugué, elb ; Vincent Sauve, dm

Label / Distribution : Offoron

Ce quartet est né suite à un stage que l’association Penn ar Jazz organise tous les ans à Brest sous l’égide d’un musicien reconnu. Les stagiaires présentent le résultat de leur travail lors d’un concert du Nimbus Orchestra, formation éphémère créée pour l’occasion. Guillaume Orti, Geoffroy de Masure, Magic Malik se sont succédé à la barre jusqu’à ce que Steve Coleman vienne à son tour, en 2011, y enseigner son approche mathématique et mystique de la musique. Une aubaine pour Nicolas Péoc’h, le Breton de la bande, Johan Blanc, haut savoyard, Benoît Lugué, bordelais, et Vincent Sauve agenais, tous sensibles à son travail. L’expérience, concluante, les incite à prolonger l’aventure. Ils se réunissent sous le nom de The Khu, titre d’une composition de Coleman et référence à l’Egypte ancienne.

Que ce soit à travers des collaborations ponctuelles ou des entreprises plus durables, ces quatre-là n’en sont pourtant pas à leurs premières armes. Et leurs C.V. sont pour le moins éclectiques. On y trouve les noms de Denis Colin, Pierrick Pédron, John Hebert ou Mary Halvorson mais également le groupe d’électro hip-hop Wax Tailor ou le chanteur Bertrand Cantat (lors de sa collaboration avec le dramaturge Wajdi Mouawad). Dans les formations plus personnelles auxquelles ils ont participé, on rencontre aussi bien du jazz klezmer, de la musique celtique et du funk que du Jimi Hendrix.

La pensée rigoureuse de Steve Coleman sera le catalyseur de ce cosmopolitisme stylistique, et même si The Khu se place dans le droit prolongement de l’univers du saxophoniste américain, il n’en est pas moins un groupe intéressant à bien des égards, voire tout à fait excitant. Chacune de ces douze compositions est déroulée suivant une ligne claire. L’alliage de l’alto et du trombone produit un son lumineux aux teintes métalliques, tout en rondeur mais détouré par une attaque franche. Le propos rappelle parfois les grandes heures du jazz west coast, mais ne donne pas dans la langueur : sur un tempo toujours soutenu, il gagne peu à peu en force, avec un réel souci d’efficacité. Et même si une relative accalmie s’installe sur « Goyahkla », « Le Brestois » lève toute idée d’apaisement par son introduction compulsive à la batterie, suivi d’un tutti des soufflants puis d’une succession de solos.

Bien scénarisés, les morceaux trouvent un équilibre entre une certaine sophistication et l’art subtil de la rendre naturelle. En cela, la section rythmique - complice depuis de nombreuses années – est l’élément indispensable ; homogène au point de paraître indépendante, elle déploie un tapis souple au groove épais. Omniprésente, parfois rampante, souvent en avant, elle permet aux solistes de poser de stimulantes improvisations. Mais l’opposition n’est que relative : le rythme ne passe pas en dessous quand la mélodie est au-dessus ; par des effets habiles, les deux finissent, en fait, par se mêler. Un assemblage de chant/contre-chant, mélodique et/ou rythmique, produit des rebonds de l’un à l’autre, des successions de relais qui laissent l’auditeur essoufflé (mais comblé). Plus loin, le duo saxophone/trombone offre un moment d’apaisement aux accents tristaniens (“Lady Cormorant”). Là encore, l’accalmie est de courte durée, même si cette fois la musique repart vers des horizons plus sombres.

Le disque est sorti chez Offoron, qui rassemble des références jazz, free jazz, post-rock, mathcore ou bruitistes ; signe d’une belle vitalité pour ce label breton.