Chronique

Hubert Dupont

Trio Aurore

Hubert Dupont (b), Tosha Vukmirovic (cl, bcl, ts, kaval), Youssef Hbeisch (perc)

Label / Distribution : Ultrabolic/Musea

C’est un disque tout simple, inattendu et pour tout dire idéal qui se présente à nous avec ce Trio Aurore. Quelques mois après avoir soufflé le Sirocco avec un trio plus électronique, le contrebassiste Hubert Dupont revient à quelque chose de plus organique, de plus traditionnel. Plus exactement, de plus pleinement plongé dans les racines des Balkans et de l’Europe Centrale qui, davantage qu’une boussole, constituent le cœur de la musique du contrebassiste. On le constatera dès le départ avec le fantastique « Slide Danse » qui ouvre l’album : une rythmique familière où l’on retrouve son vieux camarade Youssef Hbeisch et le clarinettiste Tosha Vukmirovic. Du premier, on sait que sa collaboration avec Dupont est une histoire ancienne, née avec la révolution de Jasmin et qu’il fut le percussionniste du Trio Joubran ; du second, on se rappelle qu’il était du We Free d’Alexandre Saada, mais surtout que c’est l’âme de Slonovski Bal, un orchestre mythique du patrimoine balkanique, et qu’il a travaillé avec Bratsch, autre phare éclairant cette partie du Monde.

On pourrait penser que Vukmirovic est le guide de cet orchestre tourné vers l’Est, mais c’est bien une alchimie collective qui forge le plaisir de l’écoute. Ainsi « Bicare », morceau central de l’album, offre un beau passage de relais sur une composition d’Ismail Tunçbilek, figure turque du Taksim Trio. La clarinette plonge d’abord vers le sud-est : du Danube, on se dirige vers le Bosphore d’un coup d’archet, et puis la derbouka de Hbeisch fait le reste. Le voyage a beau être immobile, il est permanent. La complicité entre Dupont et son percussionniste est totale ; elle ne se cantonne pas à une lecture traditionnelle, elle crée un imaginaire et repousse les frontières. Dans un tel paysage, Vukmirovic joue sur du velours. Avec « Zajdi Zajdi » qui débute sur un remarquable travail de la contrebasse, le musicien d’origine serbe passe quelques instants au kaval, cette flûte aux multiples noms symbolique des Balkans qui apporte à l’aurore quelques nuages de spleen.

Ce qui fait la couleur particulière de cet Aurore Trio, c’est le choix des compositions et de leurs origines. Il y a bien entendu les morceaux écrits par Dupont, comme « Shehili » qui offre l’occasion à Vukmirovic de se saisir du saxophone ténor et incarne une lecture très contemporaine de cette musique du cœur de l’Europe, mais il y aussi le choix de compositeurs actuels, originaires des Balkans et qui font vivre cette musique. On a parlé de Tunçbilek, mais on citera aussi Manos Achalinotopoulos, l’un des plus brillants clarinettiste grecs de sa génération, que ce trio honore dans sa reprise de « Picture », résolument cinématographique ; rien de bien surprenant de la part de Vukmirovic, qui collabore depuis fort longtemps avec Vladimir Cosma. Le trio Aurore est une lettre énamourée à la musique d’Europe Centrale et des Balkans, mais aussi une magnifique porte d’entrée sur sa vivacité actuelle pour quiconque ne l’aurait que survolée. Un disque qui tient à la fois du panorama et de l’auscultation profonde. Pour Hubert Dupont, c’est un retour aux sources, à un jeu direct et sans apprêt. Pour l’auditeur, c’est un plaisir intense et brut, à renouveler à l’envi.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 mai 2023
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