Chronique

Hafez Modirzadeh

Facets

Hafez Modirzadeh (ts), Craig Taborn (p), Kris Davis (p), Tyshawn Sorey (p)

Label / Distribution : Pi Recordings

Né aux Etats-Unis d’un père iranien et d’une mère aux origines russes, le saxophoniste Hafez Modirzadeh a toujours eu l’altérité comme modèle : deux cultures, deux traditions musicales, mais une seule musique : la sienne. Au ténor, son timbre est très reconnaissable : doux, plein de scories, très caressant. On l’a entendu avec le trompettiste Amir El-Saffar, mais aussi avec le pianiste Vijay Iyer dans un fondateur Post-Chromodal Out  !, en 2012, déjà sur le label Pi Recordings. C’était l’occasion de développer ses Facets, grammaire propre à ce saxophoniste et théoricien passé par les banc de la Wesleyan University chère à Anthony Braxton.

Pour cet amoureux d’Ornette Coleman et grand connaisseur de l’histoire du jazz américain, l’idée est de s’extirper de l’hégémonie occidentale de l’échelle chromatique et d’explorer la musique microtonale. Il s’intéresse à tout, en liberté, des traditions perses aux pratiques des Gnawas, en passant par l’expression contemporaine de cette microtonalité. C’est ce que l’on entend dans l’étonnant Facets, où Modirzadeh convie trois pianistes parmi les plus inventifs, quelques années après avoir expérimenté avec Iyer. C’est ainsi que sur « Facet 33 Tides  », le ténor s’aventure dans les profondeurs du piano préparé de Craig Taborn, à la main droite exploratrice. Chacun des pianistes a sa propre façon d’envisager la décorrélation avec le caractère habituellement tempéré du piano. Le jeu de Taborn, volontairement cristallin et exagérément sostenuto, comme il l’est sur son soliloque de « Facet Taborn  », fait parfois songer au travail d’Hans Lüdemann sur la microtonalité du clavier.

Ces trois musiciens ne jouent pas en même temps : ils se relaient dans des duos avec le saxophoniste qui s’adapte à l’univers de chacun. Avec Tyshawn Sorey, l’atmosphère est clairement la plus chambriste. Le pianiste au gros bagage classique met le souffle rugueux de Modirzadeh en valeur. Le piano cherche, multiplie les dissonances, mais sans appuyer le propos ou se montrer provocateur, comme sur « Facet 29 Night  » ou dans les petites cascades de « Facet Sorey  » en solo. Mais c’est sans doute avec Kris Davis que le propos est le plus abouti. D’abord parce que c’est un terrain que la pianiste canadienne s’approprie en solo notamment, mais aussi en raison de son jeu tout en ostinati, qui va questionner le jazz (« Pannonica  » de Monk, magnifiquement cabossé, et surtout « Facet 34 Defracted  », remarquable de bout en bout). Il en résulte un album riche et poétique, jalon important du travail de Modirzadeh, qu’il faut suivre avec le plus grand intérêt.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 juin 2021
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