Tony Hymas & Catherine Delaunay
No Borders
Tony Hymas (p), Catherine Delaunay (cl)
Label / Distribution : Nato
Ils s’étaient croisés, bien sûr, puisqu’ils sont de la même famille. De Thollot in Extenso à Vol pour Sidney, le pianiste Tony Hymas et la clarinettiste Catherine Delaunay ont souvent partagé des disques, à défaut de partager des scènes. Il existe des fidélités, et celle qui les lie tous les deux à la maison nato est des plus solides qui soient ; alors, c’était inévitable, et No Borders en témoigne. C’est depuis 2016 que les deux solistes se rencontrent et discutent dans la douceur tamisée de « Jusqu’au dernier souffle (lacrymocratie) », où le paradigme satien du pianiste anglais transporte la petite musique de nuit de Catherine Delaunay dans des clairières de douceur. Les échanges ici sont intimes sans pour autant être strictement chambristes : il faut compter sur la puissance rythmique d’Hymas, cette main gauche si leste qui ne perd jamais son esprit frappeur, pour que le duo prenne des allures plus rudes, à l’image de « Jusqu’au dernier souffle (Un dimanche à Ste Soline) » où la colère pointe sans rien perdre de son élégance ni de sa souplesse.
Mais qu’elle est cette affaire de dernier souffle qui donne ici son nom à bien des titres ? Ce n’est pas celui qui annonce le trépas : Hymas du haut de ses 80 ans est vivant et debout, et toujours vertement indigné. C’est le souffle de la vie, de celui qui se bat. La saine colère. C’est celui des ours chers à Jean Rochard, comme celui dessiné sur la pochette [1] dont la libre nonchalance n’est que feinte et qui trouve dans les « notes jurassiennes » et son ostinato frondeur l’illustration parfaite d’un qui-vive permanent. A écouter No Borders, il semble qu’il n’y ait pas plus nato qu’un disque comme celui-ci, dans ses colères comme dans ses joies enfantines, teintés parfois d’une touche de spleen (« Jusqu’au dernier souffle (I Can’t Breathe) ») et de cette gravité qui surgit parfois dans les discours d’espoir (« The Kraken Wakes », où Delaunay est remarquable).
Comme un symbole, ce disque est enregistré dans le Jura à la Fraternelle de Saint-Claude. Fraternelle, cette musique l’est absolument, et la camaraderie de Tony Hymas et Catherine Delaunay est l’alchimie qui donne à cette discussion toute la profondeur et la poésie nécessaire. Jusqu’à cette reprise aussi lunaire que joyeuse de la scie eurodance « Freed From Desire » de Gala, qui montre que les frontières n’ont leur place nulle part, et encore moins en musique.