Chronique

Léandre/Melford/Newton

Stormy Whispers

Joëlle Léandre (b), Myra Melford (p), Lauren Newton (voc)

Label / Distribution : Fundacja Słuchaj

De Joëlle Léandre et de Myra Melford, on aura déjà eu, tout début 2020, Map of Liberation avec le Tiger Trio. Ici, pour les Polonais de la Fundacja Słuchaj, qui décidément défend toujours avec acuité la musique improvisée européenne, c’est la chanteuse Lauren Newton qui prend la place de Nicole Mitchell ; le tigre n’est pas chevauché, il est toutes griffes dehors : dans « Whisper 1 », qui ouvre Stormy Whispers, on découvre une musique rugueuse et haletante. Le piano de Melford est tout en cordes étouffées, pendant que Joëlle Léandre fait parler cette puissance sourde, tellurique, qui permet à ses comparses toutes sortes d’acrobaties. Newton ne s’en prive pas ; on la sait très joueuse, et ses rencontres avec la contrebassiste sont souvent l’occasion de s’affranchir de nombreux carcans. Comme pour le formidable Conversations, la chanteuse passe d’un état à l’autre avec un enthousiasme communicatif.

Jamais, pourtant, elle ne tire la couverture à elle. Dans « Whisper 3 », elle s’efface même pour une œuvre de duelliste entre piano et contrebasse qui jaillit comme une bombe à fragmentation. L’archet de Joëlle Léandre est diabolique et insatiable. Le piano de Myra Melford lui court après, sans oublier de faire quelques entrechats tout en dévalant la piste. C’est tendu mais jamais agressif : les deux musiciennes sont dans le jeu, comme toujours, et les dispositifs de tension ne servent qu’à garder l’esprit en éveil, à se maintenir toujours sur le fil, à préparer la suite. Justement, « Whisper 4 » naît dans les limbes d’un silence pour mieux relancer la machine et articuler toutes sortes de surprises dans les phonèmes de la chanteuse, qui semble s’amuser à jouer à cache-cache avec Melford et Léandre.

L’explosivité de ce trio est phénoménale. Dans « Whisper 7 », c’est le piano de Myra Melford qui prend les rènes et se livre à une colère soudaine, inaltérable. Lorsque le martellement main gauche se fait plus doux sans pour autant se tarir, c’est le souffle de Lauren Newton, comme un vent glacial, qui vient donner un relief supplémentaire au propos. Quant à la contrebasse, elle se fait d’abord presque fragile sur un archet bondissant, avant de prendre davantage de corps dans un dialogue tout en rebonds avec la vocaliste, où les effets de gorge semblent répondre aux soudaines bifurcations. Ne pas croire que le piano s’est tu : il est en tapinois, souligne ou plutôt ombre le propos comme le ferait un pastel gras. Stormy Whispers est un disque dense qui rend magnifiquement hommage à trois grandes improvisatrices et à une musique libre, vivante et sans concession et ne donne envie que d’une chose : retrouver au plus vite cette sauvagerie poétique sur scène. Les témoignages sont importants, surtout en cette période.

par Franpi Barriaux // Publié le 17 janvier 2021
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