Chronique

Trio Rhizome

A.R.C. en Ciel

Claudie Boucau (fl, harm, ocarina, appeaux), Richard Héry (dms, perc, clb, Don Quichotte), Alain Blesing (g, elec).

Label / Distribution : Instant Music Records

C’est avec un plaisir non dissimulé qu’on croise une fois de plus la route d’Alain Blesing, musicien discret et pourtant riche d’expériences qui ont été soulignées ici même à plusieurs reprises, du fait notamment de sa complicité avec le batteur Bruno Tocanne. On pense en particulier à trois rendez-vous discographiques donnés par ces deux musiciens exigeants : le quartet Madkluster en 2012 ; le projet Over The Hills (2015), en hommage à Escalator Over The Hill et avec le soutien de Carla Bley elle-même ; pour finir, un duo guitare-batterie, L’Impermanence du doute (2020).

Voici cette fois le guitariste sans son complice, mais jamais très loin de lui puisque le disque du trio Rhizome a vu le jour sur le label IMR, fondé par Tocanne, et une fois encore très bien entouré. Cette formation se niche quelque part du côté de l’Auvergne, là où Alain Blesing pense et fait naître sa musique en lien étroit avec la flûtiste Claudie Boucau (qui n’est pleinement musicienne que depuis quelques années) et le batteur percussionniste, mais aussi clarinettiste et joueur de… Don Quichotte [1], Richard Héry. Rhizome, c’est une cellule organique au sein de laquelle il n’est surtout pas question de hiérarchie, mais bien au contraire de création partagée, dans l’équilibre des forces, au sens premier du terme selon les musiciens eux-mêmes, qui tiennent à souligner le caractère essentiel des racines communes et de leur développement : « Le rhizome est la racine multiple d’une plante qui s’étend à la rencontre d’autres racines, sans commencement ni fin, a-centré, non hiérarchique, sans général, uniquement défini par une circulation d’états ». Ici par conséquent, les instruments ne jouent pas les gros bras. Bien au contraire, ils se cherchent, se trouvent, tissent des liens étroits, agencent des textures, modèlent des formes mouvantes, le plus souvent dans un climat de douceur éthérée. Parfois, ils bruissent en direction de paysages aux couleurs plus mystérieuses mais toujours tendres. Il y a une bonne dose d’amour dans cette musique où il n’est jamais question de s’imposer mais plutôt de suggérer et d’esquisser des mouvements dans une forme voulue de lenteur contemplative. On est séduit par la beauté tranquille des mélodies qui s’élèvent avec majesté (« Sweet Ocean », « For Bill » dédié à Bill Frisell, « Quiet » et ses chants d’oiseaux), par le chant poignant des baleines (« Dead Whales ») ou encore par la sérénité de ces « Ice Flowers », nées de « Colchiques dans les prés » (le rhizome, on vous dit). On peut danser aussi, dans la joie (« Chanson bulgare », co-écrite par Yves Rousseau) ou se perdre dans un paysage plus accidenté (« Gravityless »).

Dans un récent entretien accordé au site Paris Move, Claudie Boucau explique le titre de ce disque, A.R.C. en Ciel : « Pour la beauté qui encercle et ouvre l’espace loin devant, la multitude de couleurs qui se fondent les unes dans les autres sans rupture ni prévalence, l’impossible saisie du fait de son illusion même, pour son universalité, l’émerveillement qu’il procure à tous, son côté éphémère, impermanent, fragile, mais aussi vivifiant par ses multiples couleurs. Enfin, le petit clin d’œil A.R.C. pour l’humour, parce qu’il y a bien des humains derrière ça : Alain, Richard et Claudie ».

A.R.C. en Ciel
est un moment enchanté qu’on doit attraper au vol, avec la délicatesse qu’il exige et la curiosité qu’il ne manquera pas de susciter. C’est avant tout un rendez-vous à ne pas manquer.

par Denis Desassis // Publié le 16 janvier 2022
P.-S. :

[1Le Don Quichotte est un instrument fait de bois, muni d’une seule corde et d’un pavillon en métal.