Tribune

Un pôle bernois pour le futur du jazz

La Hochschule der Künste Bern a recruté de nombreux·euses musicien·ne·s de jazz.


En voyageant en Europe, de festivals en réunions professionnelles, on entend et recueille beaucoup d’informations. Ce n’est donc plus un secret que tant d’improvisateur·trice·s de haut niveau [1] soient rassemblé·e·s dans une même équipe pédagogique à Berne ! Et cela soulève des questions. En général, les scènes d’improvisation les plus florissantes en Europe sont liées à l’enseignement. Par exemple, le RMC de Copenhague ou le Conservatoire d’Amsterdam sont encore très actifs aujourd’hui et alimentent une scène jazz internationale très typique. On peut également citer Bruxelles, Trondheim ou Cologne…

Tom Arthurs

Pour discuter de ce pari pour l’avenir, c’est le directeur artistique des études de jazz de l’École de Hautes-Études d’art de Bern, le trompettiste Tom Arthurs qui répond à nos questions.

- Il y a fort à parier que la scène bernoise se développe dans les années à venir si l’enseignement du jazz est assuré par une telle équipe.

Merci, c’est très agréable à lire ! En effet, il y a quelques musiciens que je suis vraiment excité de voir sortir du cursus de Berne, comme Myslaure Augustin, Selina Brenner, Matthieu Mazué, Cyrill Ferrari, Ruiqi Wang, Robin Rindlisbacher, Daniel Hernandez, Ti Kuhn, Philipp Kiefer, Mirjam Hässig, Mara Clément, Michael Cina, Flo Hufschmid et bien d’autres encore !

- Qu’est-ce que la Hochschule der Künste Bern ? Quelle est sa place dans le paysage éducatif suisse et/ou européen ?

Nos racines se trouvent dans la Swiss Jazz School, qui a vu le jour en 1967, ce qui fait de nous l’une des plus anciennes écoles de jazz d’Europe ! Il y a quelques années déjà, les portes se sont ouvertes à la modernisation sous la direction de Valérie Portmann et Frank Sikora, et nous sommes aujourd’hui l’une des institutions les plus tournées vers l’avenir en Europe, avec une équipe de classe mondiale (voir ici). Les étudiants commencent par s’intéresser au jazz, mais rapidement, ils s’intéressent au son, à la composition, à l’improvisation, à la musique pop, à l’écriture de chansons, aux arts visuels, à la performance, à l’électronique ou à n’importe quelle combinaison de ces domaines. Nous venons de changer notre nom en « Jazz et musique contemporaine » pour refléter cette diversité de personnes et de projets.

Nous proposons un programme de licence en trois ans, puis les étudiants poursuivent généralement leur cursus par un master en deux ans, en se spécialisant dans l’interprétation, la composition ou la pédagogie.

- Le département de jazz est-il conçu comme un centre d’excellence (pour les musiciens très expérimentés) ou comme un centre éducatif (pour les musiciens en formation) ?

Comme je pense que tous les musiciens, et en particulier les musiciens de jazz, sont constamment en formation et en quête d’excellence, je dirais que nous sommes soit les deux, soit ni l’un ni l’autre !

- Comment recrutez-vous ? Abordez-vous votre travail comme si vous mettiez en place un groupe, ou répondez-vous aux besoins/exigences du département d’enseignement ?

Nous sommes là pour les étudiants et j’espère qu’ils sont ensuite là pour la société ! En effet, nous accordons beaucoup de temps et d’espace à la discussion de ces sujets. En tant qu’« enseignants », nous utilisons nos connaissances et notre expérience collective pour guider, questionner, ouvrir des portes, offrir des expériences, sans imposer nos propres goûts, idées et esthétiques, mais en créant des cadres critiques et en fournissant des éléments de base pour que les étudiants puissent créer leur propre travail, en rapport avec leur vie, leurs questions, leurs points de vue et leurs aspirations.

Comme dans un groupe, il est important que les enseignants travaillent avec leurs forces et enseignent les matières qu’ils aiment, et d’une certaine manière, la constellation d’enseignants suggère ou même définit la direction de l’école. Il y a donc quelques parallèles, mais même si certaines décisions descendantes sont parfois inévitables, nous essayons de garder les choses aussi collectives que possible dans le cadre des contraintes de la vie institutionnelle.

- Y a-t-il une petite touche « berlinoise » dans vos choix de professeurs ?

Berlin reste dans mon cœur car c’est là que se trouvent certains des meilleurs musiciens que j’ai eu le plaisir de connaître et avec lesquels j’ai travaillé. Alors oui, lorsque nous recrutons, il est très courant d’avoir de très bons candidats qui viennent de là-bas, mais nous sommes fondamentalement ouverts à toutes sortes d’antécédents. Pour chaque recrutement, il y a un jury composé d’enseignants et d’étudiants, parfois aussi de membres de notre personnel administratif et de représentants du département de la recherche, et nous cherchons à savoir qui complète et enrichit le mieux notre équipe actuelle. En fait, l’équipe évolue constamment, notamment en fonction des besoins des étudiants, il n’existe pas de règle particulière en la matière.

- En ce qui concerne les personnes invitées aux masterclasses, il existe un véritable lien avec le corps enseignant, centré sur la scène européenne du jazz improvisé, avec des échanges entre la Norvège, l’Allemagne, la Suisse et quelques Américains. En ce qui concerne les tournées et les festivals, il n’y a pas de lien avec les pays latins d’Europe. Pouvez-vous l’expliquer ?

Pas particulièrement, mais nous sommes désireux de développer les choses de cette manière si les possibilités se présentent ! Encore une fois, nous répondons aux besoins de nos élèves et à des vagues d’intérêt particulières qui sont dans l’air à un moment donné.

- Enfin, où les élèves jouent-ils en dehors de l’école ? Quelle est la scène jazz à Berne ? Y a-t-il un endroit où ils peuvent expérimenter entre eux et sur scène ?

Il existe un réseau local extraordinaire à Berne, avec un éventail de lieux tels que Bejazz, Bee Flat, Prozess, ONO, PROGR, Sososo space et bien d’autres encore. Les étudiants eux-mêmes organisent une série de concerts intitulée Chrut u Rüebe in Bejazz, pendant le semestre, ainsi que le Pop-up Festival en juin. Il y a aussi le Playtime Festival (une semaine à Prozess en janvier), et tous les examens de BA et de MA, qui se déroulent dans notre théâtre en boîte noire, à l’intérieur de l’école. Notre grand ensemble, le Bern Art Orchestra, sous la direction de Django Bates, s’est récemment rendu à Barcelone et à Lille, et a passé une semaine au festival de Frauenfeld.

par Matthieu Jouan // Publié le 23 juin 2024
P.-S. :

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[1On trouve entre autres Andreas Schaerer, Cansu Tanrikulu, Ralph Alessi, Matthieu Michel, Samuel Blaser, Ronny Graupe, Django Bates, Jim Black, Dejan Terzic, Stefan Schultze, Biliana Voutchkova et bien-sûr Tom Arthurs.