Chronique

Régis Huby

Inner Hidden

Régis Huby (vln, elec, comp), Tom Arthurs (tp), Eivind Aarset (g, elec), Bruno Chevillon (b, elec), Michele Rabbia (dms, perc, elec).

Label / Distribution : Le Triton

Décidément, l’année 2023 réussit à Régis Huby, ne serait-ce qu’au plan discographique. Après une somptueuse Ellipse déployée en Large Ensemble, le violoniste poursuit son travail d’exploration, cette fois dans un format plus réduit. Ils sont quatre autour de lui, partenaires rompus aux aventures associant jazz et ce qu’on appelle par commodité « musiques expérimentales actuelles ». Si Bruno Chevillon et Michele Rabbia sont bien connus de tous ceux qui suivent de près le travail du violoniste (tous deux étaient à ses côtés pour l’expérimental Codex III en 2021 et au sein du Large Ensemble), on note l’entrée en piste du guitariste norvégien Eivind Aarset et du Britannique Tom Arthurs à la trompette. Deux familiers de la musique électronique contemporaine qui trouvent naturellement leur place au cœur des « paysages secrets » que Régis Huby dévoile aujourd’hui.

À l’instar du travail exploratoire de Codex III, l’instrumentarium du quintet imbrique étroitement acoustique et électronique, chacun des musiciens prenant sa part dans l’élaboration de textures sonores contemporaines qui définissent l’univers de Régis Huby et sa volonté de dessiner des paysages tant géographiques que mentaux, « ces mondes cachés, privés, presque secrets ». On est tout de suite happé par la capacité du violoniste et ses partenaires à suspendre le temps, ou plutôt à conduire leur embarcation vers une stratosphère imaginaire (parfaitement en phase avec le jeu très hassellien de Tom Arthurs), loin des repères habituels du groove ou autre swing, marqueurs usuels du jazz.

En six mouvements de durée variable (2 à 17 minutes), Inner Hidden propose un voyage dont le caractère ténébreux n’est qu’apparent. Derrière sa construction savante (autre marque de fabrique de Régis Huby), cette musique modelée collectivement (magnifique travail d’agencement des timbres) fait chavirer aussi bien par sa capacité à vous transporter dans un flux flottant et cotonneux (le très planant « Part 1 - Alone ») qu’à déferler sous les coups de boutoir d’un beat puissant et saturé (« Part 3 - Inner Fights »). La notion de « masse sonore », qui se dilate ou se contracte, ici façonnée avec une autorité naturelle par les cinq musiciens, prend tout son sens. Une esquisse de mélodie, un tempo urgent cèderont vite la place à une échappée bruitiste entrouvrant la porte d’un autre chant céleste. On passe sans cesse de l’ombre à la lumière, cette alternance diurne / nocturne étant peut-être synonyme de vie, tout simplement. Car sous couvert de recherche électro-acoustique et de précision dans l’écriture, Régis Huby nous rappelle en réalité, une fois encore, toute la richesse et l’humanité de sa démarche artistique. Et c’est passionnant.