Sur la platine

Une image et des cordes

An Image : Lee Konitz with Strings


Lee Konitz An Image

Avec son ami d’enfance Bill Russo, Lee Konitz produisit en 1958 le plus discret et le plus étonnant disque « avec des cordes » qui se puisse concevoir. Un chef d’oeuvre totalement méconnu.
Avec :
Lee Konitz (as), Bill Russo (arr, comp), Gene Orloff (vln), Lou Stein (p), Alan Schulman (cello), Billy Bauer (g), unknown (vln) and (viola), unknown (dm), unknown (b)

Lee Konitz a eu 91 ans le 13 octobre.
On ne compte plus les séances auxquelles il a participé, lui non plus ne les compte pas d’ailleurs, il a autre chose à faire. Et quand on lui parle des « fameuses » séances qui ont donné Birth of the Cool, il affecte de ne pas vraiment se rappeler pourquoi elles sont ainsi qualifiées. « J’ai seulement fait mon travail » finit-il par lâcher, si on insiste.

Je l’ai croisé et écouté en direct plusieurs fois évidemment, dont deux fois à Bordeaux. A mon invitation il était venu avec les frères Schuller, et avait tout de suite marqué les esprits en demandant qu’on retire tous les micros et autres amplis, jugés tout à fait inutiles pour un espace destiné à recevoir 400 personnes. Plus récemment, invité par le pianiste Cédric Jeanneaud, il était resté trois ou quatre jours sur place, toujours en éveil lors des balances, parfois même de façon un peu envahissante.

J’ai choisi de marquer cet anniversaire, un peu par hasard, en me procurant un exemplaire du disque An Image, enregistré en 1958 sous le label de Norman Granz Clef. Sous titré Lee Konitz With Strings, ce disque aurait pu être une déclinaison de plus, qualitative sans excès, des séances avec cordes offertes à quelques grands stylistes, de Parker à Clifford Brown en passant par Stan Getz (Focus). Or - bonne surprise - le travail de Bill Russo associé à Lee Konitz donne un résultat tout à fait hors des normes habituelles, dans la mesure où l’écriture a été pensée à partir de l’ensemble formé par les instruments (cordes + saxophone + piano + batterie) et non à partir de la forme soliste + accompagnement.

Concrètement, il y a du Lee Konitz dans tout ça, mais il y a aussi (et surtout) de la musique ! Jazz ? Classique ? Third Stream ? Mauvaises questions. Je ne connaissais pas cette séance : elle est d’une densité dramatique surprenante, qui vous saisit et ne vous lâche pas. C’est sombre, très sombre parfois, plus allégé quand même dans les parties formelles qui tournent autour de l’idée du concerto pour saxophone et orchestre. C’est l’un des plus beaux disques de Lee Konitz tous genres confondus, et il en aura fait d’autres dans le même genre.

Il faut saluer aujourd’hui l’œuvre de Lee Konitz, et se réjouir qu’il soit encore avec nous pour fêter ça.