Chronique

Van Morrison and Joey DeFrancesco

You’re Driving Me Crazy

Van Morrison (voc, as), Joey DeFrancesco (org, tp, voc), Dan Wilson (g), Michael Ode (dm, perc), Troy Roberts (ts, ss) + Shana Morrison (voc).

Label / Distribution : Exile Productions

Le vieux lion et l’organiste. Non, ce n’est pas le titre d’une fable de Jean de la Fontaine, mais ainsi pourrait-on présenter en quelques mots You’re Driving Me Crazy, une collaboration entre Van Morrison et Joey DeFrancesco. D’un côté, un chanteur irlandais qui fêtera bientôt ses 74 printemps, qu’on dit irascible, une grande gueule sur la brèche depuis plus de 50 ans et dont personne n’a oublié le « Gloria » du temps de Them. Et c’est dès la fin des années 60 que cet écorché entamera une carrière sous son nom, dont ce disque constitue le trente-neuvième rendez-vous. Ce n’est pas rien. De l’autre, un organiste sensiblement plus jeune (48 ans), un musicien qu’on a pu repérer entre autres collaborations aux côtés de Miles Davis, période Amandla ou de John McLaughlin, notamment au sein du groupe The Free Spirits avec Dennis Chambers à la batterie. Signalons pour l’anecdote que DeFrancesco est trompettiste à ses heures, un instrument vers lequel il s’est tourné sur le tard et sous l’influence de Miles.

La typographie de la pochette est sans équivoque : deux noms sont mis en avant, mais Van Morrison est la tête d’affiche de You’re Driving Me Crazy. Autant le dire tout de suite, ce n’est pas avec ce disque que le chanteur créera la surprise. Les heures fulgurantes et leur beauté formelle brûlante, celles de Astral Weeks, Moondance, Tupelo Honey ou Saint Dominic’s Preview [1] par exemple sont loin désormais. Voilà des années en effet qu’on n’attend plus grand-chose de nouveau de l’homme en colère, mais quelle importance après tout ? C’est lui, d’abord lui, sa voix puissante, chaude et – il faut bien le dire – intacte, qu’on a envie de retrouver dans ce swing si particulier dont il définit le groove nonchalant mais tenace dans les paroles de « Goldfish Bowl » : « Jazz Blues & Funk / That’s not Rock & Roll / Folk with a beat / And a little bit of Soul ». Un copieux cocktail dont il a le secret, une fusion des humeurs qu’on veut l’entendre grommeler, pour ne pas dire marmonner, comme dans sa reprise « Miss Otis Regrets » de Cole Porter. Voilà par ailleurs des années qu’on ne s’étonne plus de l’entendre jouer du saxophone alto sur quelques compositions, tout en se disant que ce n’est pas ce qu’il réussit le mieux.

Van Morrison, on l’aime tel qu’il est, constant dans sa bougonnerie, d’une irréfutable sincérité et fort bien épaulé cette fois par l’orgue volubile de Joey DeFrancesco. L’Américain est en forme, son expression joyeuse, on ressent physiquement son plaisir d’associer ses couleurs à celles de la voix de Van Morrison. C’est là un compagnonnage tranquille, qui ne révolutionnera pas l’histoire de la musique, mais auquel on vibre avec le sentiment d’avoir affaire à deux musiciens qui ne trichent pas et racontent l’histoire d’une vie. Prenons les paris : le quarantième rendez-vous de Van Morrison déjà annoncé provoquera des sensations identiques à celles suscitées par You’re Driving Me Crazy. Nul ne s’en plaindra, bien au contraire.

par Denis Desassis // Publié le 14 avril 2019
P.-S. :

[1Notons toutefois sur ce nouveau disque une reprise de « The Way Young Lovers Do » dont l’original figurait sur Astral Weeks.