Chronique

Yoann Loustalot

Oiseau rare

Yoann Loustalot (tp, flgh), Julien Touéry (p), Marie-Violaine Cadoret (vln), Cécile Grenier (vla), Atsushi Sakai (cello), Ivan Gélugne (b), Mátyás Szandai (b).

Label / Distribution : Bruit Chic

Yoann Loustalot est un musicien tout aussi polymorphe qu’actif. Ainsi, on a pu l’écouter récemment aux côtés d’Iggy Pop (avec son complice Florian Pellissier) dans un contexte plutôt éloigné de son champ d’expression habituel, et œuvrer au sein de deux trios aux formules assez peu courantes, qu’il s’agisse de KLM avec le vibraphoniste Philippe Macé et le contrebassiste Stéphane Kerecki, ou de celui avec lequel il a enregistré Yeti (avec Giani Caserotto à la guitare et Stefano Lucchini à la batterie). C’est un peu comme si, pour lui, la musique était affaire sinon de remise en cause, du moins de nouveau départ à chaque fois que l’occasion lui en est donnée.

Ce n’est pas son Oiseau rare qui viendra contredire cette hypothèse, non seulement parce qu’une fois encore, la composition de la formation dont il s’est entouré est la preuve d’une large ouverture stylistique et esthétique, mais parce qu’aux dires du trompettiste lui-même, l’écriture pour un orchestre composé essentiellement de cordes était à ses yeux une aventure d’un genre inédit dans laquelle il s’est lancé sans trop se laisser impressionner par la coloration « classique » d’un tel ensemble. Un gage d’honnêteté pour une « écriture dans l’instant » d’autant plus remarquable que le résultat s’avère des plus séduisants. On serait même tenté de dire que tout cela coule de source : augmenté d’un piano compagnon (celui de Julien Touéry), le quatuor à cordes à la composition légèrement différente de celle qu’on connaît en musique classique (violon, alto, violoncelle et contrebasse) instaure un climat souvent introspectif, parfois rehaussé de scansions sérielles, définissant ce qu’on pourra qualifier de « jazz de chambre contemporain ». Encore faut-il préciser qu’il est rarement question ici de swing ou de groove et que l’écriture prime sur l’improvisation. Habitée d’une plénitude qui est sans doute l’enfant d’une maturité dégagée de toute velléité de démonstration, la trompette (ou le bugle) prend le temps de poser les thèmes, de dialoguer avec les cordes et d’offrir son chant en toute quiétude, sous les attentions constantes du piano.

Oiseau rare est un disque aérien mais pas léger pour autant ; ses dix compositions, toutes signées Loustalot, offrent un moment de suspension et suggèrent une suite d’images rêveuses ou contemplatives. Cette retenue, cette douceur, qui ne sont pas synonymes de distance, sont bien au contraire la marque d’une volonté de jouer juste et de creuser profond le sillon d’une musique consciente qui serait une réponse à notre monde urgent et violent. Nécessaire donc… et rare ! On n’oubliera pas pour terminer de mentionner la présence sur trois titres de Mátyás Szandai, qui nous a brutalement quittés au cours de l’été dernier. Le savoir pleinement impliqué dans un si beau collectif ne fait que rendre son absence plus cruelle.