Chronique

Vincent Jourde Quartet

Le graveur de rêves

Vincent Jourde (ss), Philippe Monange (p), Pierre-Yves Le Jeune (b), Benoist Raffin (dms).

Label / Distribution : Plus Loin Music / Abeille Musique

Mine de rien, ce deuxième disque du quartet de Vincent Jourde, saxophoniste originaire de la région parisienne, donne à entendre sa petite musique. Parce qu’il est de ceux qui, en toute sérénité, laissent une empreinte délicate dans les mémoires, avec humilité, sous l’impulsion de musiciens qui, quand on y songe, ne nous sont guère familiers. On peut l’avouer : on découvre le quartet, même si l’on sait qu’aux côtés du leader, Philippe Monange (piano), Pierre-Yves Lejeune (contrebasse) et Benoist Raffin (batterie) travaillent ensemble depuis cinq ans : on n’attendait pas forcément de leur part l’assurance dont il font preuve avec ce séduisant Graveur de rêves [1].

Car les faits sont têtus, et depuis février ce disque bien nommé reste en bonne place sur la pile dont on remet sans cesse l’archivage parce qu’on n’en a pas fini avec lui. Pourtant sa musique, porteuse d’un lyrisme profond, ne transcende pas à elle seule la grammaire du jazz, ni la formule saxophone-piano-contrebasse-batterie sublimée par John Coltrane dès la fin des années 50 : avec les premières mesures de « To Bob Berg » [2] qui ouvre l’album, on sait qu’on est en terrain connu, celui des chanteurs du saxophone soprano, proche de l’esthétique transalpine d’un Stefano Di Battista ou d’un Rosario Giuliani, dont Jourde a eu l’occasion de croiser la route en 2003. Une rencontre déterminante qui, selon lui, a modifié sa propre compréhension de l’improvisation. Un thème accrocheur sur un tempo élevé, quatre musiciens dont la musique déferle avec ferveur et un soliste véloce qui, si virtuose soit-il, laisse parler sa sensibilité.

Ce jeu-là, dense et mélodique, on en a déjà apprécié les saveurs ailleurs, certes. Mais il y a chez Jourde un petit plus indéfinissable qui accroche l’oreille et signale une forte personnalité : un sens de la composition « évidente » et persistante (« La trajectoire idéale », « La suite chelloise », « Lenny »), une fusion harmonieuse des instruments, une densité de jeu qui se libère sur chaque pièce (elle sont toutes originales, à l’exception d’une adaptation de Ravel), y compris sur les ballades les plus rêveuses (« Le graveur de rêves », justement). Sans oublier une spiritualité revendiquée témoignant de l’héritage des plus grands, au premier rang desquels Coltrane, encore et toujours. Tout au long de cette belle heure de musique, en effet, son empreinte se sent en filigrane, plus que dans la forme elle-même, par exemple sur les « 3 beaux oiseaux de paradis » de Ravel, dont les alternances de climats impressionnistes et habités, notamment lors d’un magnifique chorus de saxophone, fournissent le moment le plus intense du disque : on pense alors aussi au travail de passeur d’un Lionel Belmondo avec son Hymne au soleil.

Le graveur de rêves joue juste et parle vrai, d’une seule voix, celle de quatre musiciens unis dans une même célébration sans fard de leurs émotions. Bien sûr, le chant de Jourde au soprano est dominant, mais la justesse de l’apport des trois autres contribue à la force de l’ensemble. Encore une fois, on passe un beau moment et le disque donne envie d’en savoir plus sur une formation qui, à l’évidence, gagne à être connue, notamment sur scène.

par Denis Desassis // Publié le 28 octobre 2013

[1Formé en 2008, le même quartet a publié Semper Fidelis chez Hybrid Music en mai 2009.

[2Décédé en 2002 à l’âge de 51 ans des suites d’un accident de voiture, Bob Berg, saxophoniste new-yorkais, avait évolué en particulier aux côtés de Horace Silver, Cedar Walton, Chick Corea, Miles Davis ou Randy Brecker.