Chronique

Eric Legnini And The Afro Jazz Beat

Sing Twice !

Eric Legnini (p, Rhodes, kb, perc), Franck Agulhon (dms, perc), Thomas Bramerie (b), Hugh Coltman (voc), Mamani Keita (voc), Emi Meyer (voc)

Label / Distribution : Discograph

Un nouvel album d’Eric Legnini, c’est un peu comme la visite d’un vieux copain qu’on connaît sur le bout des doigts et dont on devine avant même son arrivée la saveur des histoires qu’il ne va pas manquer de raconter.

Quatre disques sous son nom dans la première moitié des années 90 [i] avant de fructueuses collaborations aux côtés d’Eric Le Lann, Flavio Boltro, Stefano Di Battista ou Stéphane Belmondo : le nom d’Eric Legnini s’est rapidement imposé sur la scène jazz européenne ; puis le pianiste a pris son envol et c’est aujourd’hui un musicien dont les contributions sont très prisées. Depuis le milieu des années 2000, il affirme en trio une personnalité généreuse et une musique au groove gourmand, immédiatement identifiable, qui dénote une admiration ouverte pour le pianiste Phineas Newborn. Trois albums composant une trilogie naturelle ont ainsi vu le jour : Miss Soul (2005), Big Boogaloo (2007) et Trippin’ (2009), avant une inflexion vers ce que Legnini a lui-même qualifié d’afro beat pour un disque récompensé par une Victoire du Jazz : The Vox (2011) marquait l’entrée en scène de la voix et d’une certaine profusion de couleurs sonores, avec notamment la présence de la chanteuse Krystle Warren [1].

Eric Legnini est aussi connu pour être un arrangeur-producteur très à l’écoute de l’air du temps. Son credo est simple, il le martèle ici : garder le modèle chanson sans oublier la forme jazz, en partant de l’idée qu’avec la voix, tout devient plus clair, plus lisible. Dans ces conditions, pourquoi ne pas pousser le bouchon du chant encore un peu plus loin et, toujours en compagnie des impeccables Thomas Bramerie (contrebasse) et Franck Agulhon (batterie), ne pas s’assurer le concours de nouvelles voix ? Pour Sing Twice !, ils sont trois à mêler la leur aux élans de la matrice (parfois augmentée de cuivres ou de guitare) : d’abord, le temps de trois compositions (dont le splendide « Snow Falls »), Hugh Coltman, qui partage régulièrement la vie du groupe sur scène depuis 2011 et dont l’élégance distanciée colle parfaitement à l’esthétique du trio [2]. Résolument tourné vers l’Afrique et ce qu’on pourrait qualifier d’afro funk, le trio fait ensuite appel, pour deux titres, à la Malienne Mamani Keita, puis se pare de nuances plus pop avec l’Américano-Japonaise Emi Meyer. Il faut ajouter à ce cocktail quatre pièces instrumentales qui s’inscrivent dans la lignée directe de ce que Legnini affirme déjà depuis Miss Soul.

Sing Twice ! ne bouleversera pas l’histoire de la musique : avec ses petits airs de déjà entendu, il est le prolongement naturel de ses prédécesseurs et, disons-le tout net, ne provoquera pas de réelle surprise chez ceux qui ont suivi le parcours d’Eric Legnini ces dix dernières années. Mais il faudrait avoir l’esprit chagrin pour résister au plaisir de son groove tranquille, de la sensation de balancement bienfaisant qu’on éprouve en compagnie des trois voix pertinentes ajoutées à une palette dont The Vox montrait déjà l’élargissement. Legnini cherche à sa manière une certaine forme de consensus, sans abaisser pour autant le niveau de ses exigences ni tomber dans le piège de la variété. En ouvrant son jazz à une esthétique plus pop, il se tourne sans complexe vers un public plus large qu’il amènera – on l’espère – à d’autres découvertes. A ce jeu de l’invitation courtoise, il est passé maître et nul n’éprouvera le besoin de lui reprocher. Sing Twice ! est l’assurance d’un bon moment de musique dont la fraîcheur n’est pas la moindre des qualités.

par Denis Desassis // Publié le 18 mars 2013
P.-S. :

LIne-up complet : Eric Legnini (p, Rhodes, kb, perc), Franck Agulhon (dms, perc), Thomas Bramerie (b), Hugh Coltman (voc), Mamani Keita (voc), Emi Meyer (voc) + Boris Pokora (ts, fl, bs), Julien Alour (t, bugle), Jerry Edwards (tb), Da Romeo (g), Xavier Tribolet (kb), David Donatien (perc).

[iEssentiels (1990), Natural Balance (1990), Antraigues (1993) et Rhythm Sphere (1995).

[1Il faut ajouter à cette série Ballads, paru en Europe en 2012 mais qui remonte en réalité à 2010, année de sa diffusion initiale au Japon.

[2Ancien chanteur du groupe anglais The Hoax, Hugh Coltman est installé en France depuis une dizaine d’années ; il a publié deux albums remarqués : Stories From The Safe House (2009) et Zero Killed (2012), petit bijou de pop rock feutré dont l’écoute est très recommandée.